Saigon, avril 1975. Pris sous le feu des roquettes qui assaillent la ville, les hélicoptères de l’armée américaine évacuent en une rotation effrénée les troupes et les derniers réfugiés avant l’ultime assaut du Viêt-cong. Dans ce climat de torpeur, deux êtres ayant vécu quatre années d’un bonheur illicite prennent la fuite. Cliff Wilkes, déserteur d’une guerre relevant pour lui du non-sens, et Lanh, ancienne prostituée qui évolua dans les bars réservés aux GI’s. Le petit moment d’anthologie constitué par leur échappée jusqu’à l’ambassade, lieu provisoire d’une quiétude retrouvée, n’a rien à envier aux meilleures séquences d’un film comme Apocalypse Now. Pour cela, Robert Olen Butler s’est muni d’un stylo-caméra. Chacun de ses plans constitue une figure de ballet hypnotique. Ce découpage cinématographique, par moments convulsifs, restitue pleinement les états successifs par lesquels passent ces deux protagonistes : peur, paranoïa, fantasmes etc. « Elle était capable de tuer. Oui. Lui-même avait tué. Il pouvait tuer à nouveau, pourvu qu’il éprouve la peur, le trouble ou la distraction nécessaire. » Voilà comment se dessinent les itinéraires clandestins. La suite de cette aventure où deux traditions philosophiques se confrontent sans jamais véritablement trouver d’harmonie commune, sauf dans la rencontre des corps, a pour nom culpabilité. Dès lors, de nouveau étrangers l’un à l’autre, ils ne pourront échapper à leur destinée solitaire.
Une autre réflexion, non moins surprenante, mais donnant par l’effet de la métaphore une image saisissante de la passion charnelle que se vouèrent Lanh et Cliff, survient lorsque Francine – épouse délaissée à qui ce dernier témoigne encore quelques signes d’affection – découvre à la télévision le Muppet Show : « Chaque art retranche des zones entières d’expérience humaine pour concentrer notre attention sur quelques éléments choisis (…). Eh bien, ces Muppets m’ont prouvé que les marionnettes retranchent les qualités humaines et qu’elles le font pour qu’on puisse ressentir comme jamais auparavant de quelle façon les têtes, les corps ou les mains bougent (…) Ces Muppets représentent le grand art du geste et de l’inflexion. »
Beaucoup d’écrivains racontent, dans leur premier livre (il s’agit du premier roman de l’auteur, publié en 1981 outre-Atlantique), la même chose. Nous avons déjà lu cette histoire sous la plume de quelques littérateurs. Jamais pourtant, elle n’avait atteint une telle résonance. Le titre original de cette œuvre a pour nom The Alleys Of Eden. Allez alors comprendre pourquoi, en amour, le pire est toujours certain.