« Voici peut-être le plus étrange des livres d’aventures jamais écrit », nous dit Michel Le Bris dans sa préface à la nouvelle édition de La Flèche noire du célèbre R. L. Stevenson. Cette œuvre surprend en effet par plus d’un aspect. Dans l’Angleterre du XVe siècle, en pleine guerre des Deux-Roses, un jeune orphelin nommé Dick Shelton apprend fortuitement que son tuteur serait l’assassin de son père. Il rencontre un jeune homme, Jack, qui s’avère être une belle et pure damoiselle du nom de Jeanne. Dick se retrouve un peu malgré lui embarqué dans la lutte acharnée entre les York et les Lancastre, lutte de pouvoirs qui met en lumière toute la cruauté, le vice et le calcul des grands seigneurs. Apprenti chevalier, défendant son honneur et celui de sa belle, Dick vit toutes sortes d’aventures, traverse des forêts semées d’embûches, des landes enneigées et désolées et s’échappe des forteresses les mieux gardées. Jusque-là, rien de sensationnel…
Mais le tour de force de Stevenson est de pervertir les lois du genre et de réussir à semer la zizanie dans l’esprit du lecteur. Le Bien, le Mal, les Méchants, les Gentils, les Promesses, les Traîtrises, toutes ces notions dansent devant nos yeux, s’entrecroisent, nous surprennent par le traitement qu’en fait l’auteur. L’amour aussi est abordé de manière subtile ; on pourrait dire « à la Marivaux », puisque Dick et Jeanne sentent naître le trouble avant même que cette dernière ait révélé son identité et surtout sa féminité. On assiste à des échanges théoriques et musclés sur l’amour et sur la femme, qui nous rappellent, entre autre, un certain Prince travesti. Un seul conseil avant de se lancer dans l’arène : faire le vide, bien se concentrer sur les rebondissements et les entrelacements d’intrigues, s’isoler pour ne surtout pas être dérangé.