On attendait avec une certaine impatience l’édition intégrale des Carnets de Rivarol, véritable témoignage de sa formidable intelligence et de sa grande perspicacité. Les éditions Desjonquères, sous la plume avertie de Sylvain Menant, nous offrent ces pensées et réflexions. Pensées diverses donne un aperçu de la richesse de cet esprit mal connu. On y trouve ses Carnets, composés de réflexions politiques, littéraires, linguistiques et parfois intimes, des chroniques amusées, qui témoignent des divertissements et des engouements de l’époque, comme les globes aérostatiques et autres têtes parlantes, ainsi que son texte le plus connu, De l’universalité de la langue française.
Rivarol est connu pour son esprit judicieux et brillant, il est un témoin averti, un commentateur précieux des événements cruciaux de son époque, mais reconnaît-on pour autant son trait de génie sur des chapitres aussi divers que l’Homme, l’Histoire, la Politique ou la Mort ? A la sentence plate et à la déclaration ampoulée, il oppose une analyse fine de son temps, un travail d’orfèvre qui a souvent été comparé à celui de Tacite. Il observe, il choisit, il commente, il se déplace, alternant les descriptions de grandes scènes populaires et les intrigues qui se trament dans les coulisses du pouvoir. Il expose sa vision du monde dans des genres aussi différents que les Almanachs, les lettres ouvertes, les articles de journaux et les maximes ; tous agrémentés de remarques acerbes, dignes d’un homme qui sait prendre le recul suffisant pour confondre ses adversaires. Il procède par tableaux et portraits, sa langue est imagée et dévastatrice. Il est un stratège, un juge et un spectateur parfois amusé, qui assiste aux tumultes de cette fin de siècle. Ironie et minutie sont les maîtres mots de l’immense fresque qui se dégage de ses pages.
Epicurien par l’esprit, Rivarol voue son existence au raisonnement poussé à l’extrême, à une réflexion parfois patiente, parfois fiévreuse, mais toujours à la recherche d’une vérité. Plus qu’une « catin », la pensée de Rivarol est une source d’exaltation intense de l’esprit. Ce qu’il tentera de faire dans son Almanach des grands hommes de 1788 et dans son Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution, est de révéler le vrai visage de ceux qu’il considère être des faux esprits qui se targuent d’être des virtuoses de la pensée. Il les peint sous les traits d’ambitieux, d’hypocrites voire d’imposteurs. Il veut dénoncer l’esprit délétère qui ronge peu à peu son siècle. L’univers rivarolien est à la fois un regard désenchanté et une forme de désespoir qui trouve son énergie, non pas dans le renoncement et l’amertume, comme chez son contemporain Chamfort, mais dans l’ironie, la distance, la moquerie. Nous sommes des créatures frappées par l’ironie de Dieu, semble nous dire Rivarol ; répondons à cette « condamnation transcendantale » par la même arme. Les Pensées diverses témoignent de cet esprit pétillant et alerte et nous font découvrir à la fois un homme de son temps et une réflexion étonnante par sa modernité.
Cette édition est suivie du Discours sur l’universalité de la langue française et de la Lettre sur le globe aérostatique.
Les Éditions Grasset (Collection Les Cahiers rouges) rééditent le Rivarol D’Ernst Jünger.