Puisqu’il ne serait point pour eux de rédemption (qu’il faut bien naître contre tout, croître et se reproduire jusqu’à n’être plus bon qu’à mourir, en somme, d’y voir là l’unique aptitude, compétence, attrait du vivant), que leur cœur demeurerait trop noir, trop sourde leur âme, il fallait qu’il vienne, le Pythre, qu’il s’octroie le peu de terre qu’il leur restait encore, dont il les déposséderait, lui et les siens, à force d’arrogance, de morgue, d’orgueil, oui, il fallait bien cela. Qu’il apparaisse un jour, venu de nulle part, d’ailleurs, de la gorge du diable pensèrent-ils avant même que de savoir comment il s’appelait (et ce nom providentiel, Pythre, ce nom-là plutôt qu’un autre, Mouise, Plouc, Foutre), et qu’il s’y installe comme chez lui, là-haut dans la ferme de Veix (sans que jamais ils puissent l’appeler maître ni l’accueillir en leur sein, recevoir, tolérer, mais haïr au plus profond de leurs âmes verrouillées dès lors que la haine est la manne du désoeuvrement et n’ayant pas assez d’amour dans le coeur, assez de pitié, d’innocence, pour simplement l’aimer et vides de tout avec cela, de toute autre chose qui les sauverait de leur nuit).
Et qu’il s’y reproduise à tout va, qu’il y meure, mais qu’il la plante son œnanthe, fleur vénéneuse de son fumier natal, de son sang de malheur, pour que rien ne demeure comme avant sa venue, à croire qu’il vint pour cela, le grand Pyhtre (lui qui d’un seul regard aurait fait surir le lait des génisses, naître estropiés les enfants, tant il y avait de venin dans cet oeil-là), à dessein de les nasarder de son mutisme, de les défier, de les accabler et avec eux la mort, la finitude, le néant, oui, qu’il la porte sur ses épaules sa condition de rustre et la leur, et que savait-il de plus qu’eux sinon qu’il est des misères que le diable lui-même ne prendra en pitié, sacrifiées à la mansuétude, livrées au désarroi, à la maudissure de leur race ?
Et même après qu’il serait mort, le dernier des Pythre comme ils diraient à force, l’accomplissement de cette lignée de gourles, et raide pourri sous terre (la leur, pas la sienne), non, même après cela, ils conserveraient à leurs regards, messes basses, âme, une lueur, un juron, un sentiment d’hostilité, de crainte, de conjuration pour ceux-là qui, en somme, n’auraient fait ni pire ni mieux qu’eux, hormis qu’ils s’en seraient venus chez eux sans qu’ils l’eussent demandé, non, qui n’auraient fait que vivre sur leur plateau, derrière leurs vitres, sous leurs nez, pour y naître, vieillir et clabauder.
Enfin, et pour rien au monde ils ne seraient morts avant que d’en avoir vu l’issue, du clan des Pythre, (au point de s’en maudire eux-mêmes) et ce malgré qu’il n’y en aurait jamais vraiment, de fin, non, puisqu’ils les hanteraient jusqu’à leur dernier souffle, tandis que sur leur grabat, leur lit de mort, sur la dernière marche de ce côté-ci des choses, ils y penseraient encore, aux Pythre. Sans doute les emmèneraient-ils dans leurs cauchemars de l’outre-tombe. Les mêmes dont les visages les guetteraient dans la ténèbres d’après la vie, la mine vengeresse les hissant dans la mort, (tout comme ils les auraient inquiétés, médusés, ensorcelés, de leur vivant) pour la froide éternité qui serait la leur bdésormais, aux seules fins, peut-être, de perpétuer leur colère, hantise, hargne (plutôt que leurs remords). De les perpétrer dans l’au-delà afin que quelque chose d’eux survive, perdure, n’est-ce pas, (quitte à ce que ce fût cela, justement, leur méchanceté d’âme) pour n’être, en somme, point anéanti tout à fait ?
Thierry Boyer