Le sujet de cet essai est ambitieux. Il n’est rien de moins que de démontrer que « l’art d’Occident ne sait parler de sexe que sur un seul mode : la violence », violence qui s’exerce à l’égard de l’autre afin de nier sa différence. Cet autre a un nom, il s’agit de la femme, de l’autre sexe, et sa négation emprunte, selon Régis Michel, plusieurs voies : disparition pure et simple, travestissement, sujet dominé, violenté, confiné dans un harem, déréalisé ou pur fantasme. Seule la peinture contemporaine déplace cette perspective en soulignant cette vision unilatérale : femmes-pinceaux de Klein, corps mécaniques ou désorganisés de Duchamp ou Artaud, mises en scène de cette même violence négatrice par Otto Mühl. Vaste programme, trop vaste peut-être, mais dont on peut saluer l’audace. Pour développer cette problématique -d’ailleurs résolue dès les premières lignes-, quinze artistes censés illustrer cinq siècles d’art en Occident, à partir de quelques dessins ou gravures. L’iconographie apparaît rapidement secondaire, le regard porté sur les œuvres se limitant à une description le plus souvent purement factuelle et généralement assez sommaire : les images sont ici traitées comme les symptômes -variés- d’une même perversion dont Régis Michel se propose de faire la psychanalyse. Les intitulés des chapitres sont à cet égard éloquents : « Michel-Ange ou Narcisse travesti », « Poussin et l’inversion des sexes », « David ou la peinture pédophile », « Géricault ou le coït sadique », « Delacroix : journal d’un masochiste », etc.
On est donc assez vite frappé, puis fatigué, par le caractère répétitif du propos : que l’art exprime une sexualité, et que cette sexualité soit le reflet de celle de son temps, qui était, et demeure encore, dominé par la figure masculine, est-ce vraiment nouveau ? Est-ce là un discours, comme l’affirme son auteur, « en rupture. A rebours. A contre-courant » ? Il est certes nécessaire de le dire : Foucault, Derrida, et bien d’autres s’y sont attachés avec précision depuis quelques dizaines d’années. Les cultural studies en vogue aux Etats-Unis aussi, avec souvent moins de finesse, défaut que l’on retrouve ici. Que les œuvres ne soient finalement qu’un prétexte pourrait encore se justifier dans la mesure où le propos de R. Michel n’est ni esthétique, ni historique. Mais le texte lui-même semble s’efforcer de noyer sous une accumulation de préciosités stylistiques et de références obtuses les quelques idées intéressantes que l’on y pressent. Quelques citations, au hasard : « On n’use ici, faut-il le dire, de la seconde herméneutique (Heidegger, Gadamer) qu’avec la plus extrême réserve, qui tient à son ultra-conservatisme -le mot est faible-, pour énoncer le piège où choit nécessairement l’interprète de Delacroix : son diaire » ; « La synecdoque est du côté de la métonymie, c’est à dire du désir. On dira même qu’elle en est comme l’acmé : figure ontologique du fétichisme. » Les citations hors de leur contexte apparaissent toujours dépourvues de sens. Elles donnent néanmoins un aperçu de l’abus constant de l’italique, de la référence tellement allusive qu’elle est inutilisable, du sous-entendu permanent censé éveiller chez le lecteur les échos philosophiques que l’auteur se dispense ainsi de rappeler. Mais à trop utiliser ces raccourcis, on court le risque de n’aller nulle part, de s’enfermer dans un cercle narcissique dont le lecteur est irrémédiablement exclu. Pour ce sujet peut-être trop ambitieux, il aurait fallu plus de précision, de subtilité dans l’analyse et surtout de modestie devant l’ampleur du projet, toutes qualités que l’on avait appréciées dans les essais très beaux et tout aussi audacieux que Starobinski et Kristeva avaient écrits à l’occasion de précédentes expositions au musée du Louvre.