Entre deux essais ou romans à caractère « sérieux », Pierre Bourgeade aime écrire, en quatrième vitesse, des séries noires. Voici son petit dernier : un polar qui n’est pas tout à fait comme les autres (dans la mesure où il ne met pas en scène la banlieue, ses bons et ses méchants, mais surtout parce qu’il est écrit -avec assurance- en langue française, et non traduit de l’américain). C’est à une étude de mœurs qu’il nous convie. A sa table sont invités un personnage principal, un anti-héros, ancien libraire reconverti en détective privé. Il se contente de la vie qu’il a, les vagues passions qui l’habitent ne l’aidant pas agir, jusqu’au jour où il se trouve mêlé à un meurtre sordide. A ses côtés gravitent quelques flics soupçonneux, un magistrat aux attributs non négligeables mais surtout soucieuse de séduire les médias, et quelques femmes travaillant pour le téléphone rose.
L’auteur ne se montre pas. Les fils de son intrigue sont noués et se resserrent au moment voulu. Cet événement brutal, communément appelé dénouement, arrive sur la pointe des pieds. Son annonce sera pourtant un coup de tonnerre (qui pourrait soupçonner une naine, manipulatrice et ayant l’esprit de vengeance, d’être la commanditaire de ce crime).
Le coup de pied donné à la modernité est l’autre face du livre. Pierre Bourgeade analyse les réseaux économiques de la téléphonie, parle de manière convaincante de la complicité de nos institutions. En rendant compte de cette réalité (la logique effroyable de l’ordre économique et marchand -celui du sexe), il donne une image très forte du désespoir contemporain. Il se fera des ennemis. C’est bon signe. Car dans le même temps, gageons qu’il aura gagné de nombreux lecteurs.