D’abord, l’océan Atlantique, « cri espacé des mouettes », ciel et eau, marée haute, lilas dans un vase bleu… Peut-on aimer -sérieusement- à la fois Heidegger et Philip Roth ? Rothko et Picasso ? Coca Cola et château-margaux ? Johnny Hodges et Jean-Sébastien Bach ? New York et Venise ? Millau et Seattle ? Pourquoi pas… Et si le mélange de haine et de fascination pour l’Amérique n’était pas toujours de nature fondamentalement régressive ? Et si c’était plutôt la France qui s’obstinait continuellement à se venger d’elle-même ? En occultant, par exemple, des pages entières de son histoire… L’exception culturelle ? « Inquisition larvée, procès d’intention, surveillances réciproques, village… » Le Français aujourd’hui ? « Un versant Jeanne d’Arc, un autre républicain à moustache. » Si vous ne riez pas icy, comme il est écrit sur la porte de l’abbaye de Thélème, ne lisez pas ce livre…
Chaque écrivain ne devrait-il pas se demander ce qui le pousse à écrire, ou ce qui l’empêche d’écrire ? Une femme peut-être. Cette année-là, pour l’auteur, elle s’appelle Jill. Qui est Jill ? Le double féminin du narrateur ? La huitième réincarnation d’un tableau de Watteau ? Une anarchiste ? Une baba cool ? Une ex-gauchiste reconvertie dans la publicité ? Une espionne exfiltrée ? Non. Jill n’est pas un « ex », voilà tout… Rien ne finit, le temps n’est pas perdu, il s’accumule… Sans effort, c’est important de le dire… Le passé ne passe pas, il décante… « Nous sommes été, nous le sommes toujours. » On ne peut pas être et avoir été ; être été, c’est autre chose. Nietzsche disait : « Etre jeune tardivement maintient jeune longtemps. Ce n’est pas chez les jeunes qu’il faut chercher la jeunesse. » Sollers ici : « Quand on est vieux c’est pour la vie. Quand on est jeune aussi. » Programme d’écriture : décrivez en deux feuillets maximum votre vision de l’éternel retour. La réponse chez Sollers se trouve entre les pages 26 et 28.
On établira peut-être un jour, preuves scientifiques à l’appui, qu’aimer un pays, c’est aimer ses femmes. Au moins une (ce qui est déjà énorme, soit dit en passant). Pourquoi Jill à ce moment-là ? « Une Française m’aurait sans doute dérangé ou freiné dans mon désir d’être le plus étranger possible à mes origines pour mieux les comprendre. » Le narrateur, qui ressemble à Sollers, est dans sa trente-troisième année. Il habite au trente-troisième étage d’un gratte-ciel. Trente-trois, chiffre de la Présentation… Le poumon va bien. Août à New York, il faut avoir respiré au moins une fois la lumière de la fin des années 60… Jill est un amour de trente ans, qui a deux fois trente ans… On pense à Nabokov et à Véra… On pourrait croire ce temps enfui à toute vapeur. Jill, depuis, est retournée à New York. Le narrateur avionne quelque part entre ciel et terre. Il écrit. De quel côté du mur de l’Atlantique êtes-vous ? C’est toute la question de cette novel. Mine de rien.