« Il ne comprenait plus le monde, ne l’aimait plus. Ou plutôt, c’est ce qui le minait, il ne s’aimait plus ». Rien à dire, Basile a décidément la cinquantaine dépressive. Largué par sa femme, abandonné par sa fille, il erre de pièce en pièce dans son appartement du boulevard Beaumarchais qui, depuis qu’il ne travaille plus (sous le coup d’un arrêt maladie longue durée de l’Education Nationale, où il était prof de philo), abrite sa mise en question de l’existence. Tout juste si notre homme s’autorise quelques incursion dans le Marais, traînant ses guêtres du côté de la place des Vosges, contournant la Bastille et traversant, tout de même, la Seine, chaque semaine, pour son rendez vous avec le psy de la rue Cuvier, derrière le Jardin des Plantes. La géographie intime de Basile est celle du centre de Paris, entre le 4e et le 5e arrondissements exclusivement. Quand à ses préoccupations métaphysiques, elles sont pour l’essentiel celles de celui qui a du temps à perdre et s’offre la liberté d’explorer sa misogynie, son impuissance, son ennui, sa vanité, culminant dans ses fantasmes abstraits et paternalo-amoureux autour de la figure de sa fille Juliette, passion de sa vie malheureusement enfuie.
Voilà donc qui nous installe ce bon Basile, un homme fort tourmenté. Car le monde n’est plus ce qu’il était. Tout est devenu vacuité, futilité, la pensée a déserté les livres au profit de la communication galopante qui envahit la presse, les tenants de l’esprit contemporain sont des machines à médias qui trustent la moindre idée aux dépens d’une pensée vraie, la littérature se réduit à l’exhibition d’états d’âme. Déconnecté de cet univers qu’il ne contemple pour l’essentiel que depuis son balcon, Basile est en quête d’un moyen qui lui permettrait de ré-apprivoiser son contemporain, tout en relançant, pourquoi pas, son grand œuvre, un essai intitulé Eclipse philosophique auquel il travaille depuis des années. Ce moyen, il va le trouver dans une serre du Jardin des plantes où, « telle Mélisande sur son balcon », va lui apparaître la belle et jeune Shadi, iranienne exilée rue Monge, grâce à qui il va reconquérir sa libido flageolante et retrouver une prise sur le monde. Au passage, la jeune fille, dont le père a été fusillé pendant la révolution iranienne, va lui permettre de se réapproprier son passé, son rapport à l’histoire et à son père à lui, ancien participant du putsch des généraux en Algérie, qu’il a longtemps connu emprisonné : un biais narratif qui permet à Philippe de la Genardière d’élargir un récit qui sans cela demeurerait strictement cantonné au registre de la relation érotique (avec débriefing chez le psy au passage, toujours).
Basile, parce qu’il fornique allègrement, va reprendre ses méditations et même l’écriture de son essai, réinventant un monde qui permet de recréer l’Autre, l’humain, son semblable, de retrouver la foi. Puis Shadi va partir en Iran, et Basile douter à nouveau ; mais Shadi va revenir, et Basile se rassurer. Les deux amants partiront parachever leur relation en un ultime week-end dans un mignon hôtel du Luberon. Enfin Basile rentrera boulevard Beaumarchais, seul. Et bouclera le long cheminement de ses pensées lors d’une confrontation hallucinée, hallucinante, avec une SDF, sur un trottoir parisien.
Philippe de la Genardière signe un roman qui abuse de la toile de fond historique, et dont le constat du néant des idées ne sonne pas vraiment juste. Noyé sous les références littéraires ou musicales, l’esprit façon Basile a des airs de déblatération philosophique de salon et pêche par son manque d’originalité, son intellectualisme bon teint mâtiné de sa dose de psy. A l’arrivée, l’homme en rupture qu’il est censé incarner ne convainc pas. Il y a de la complaisance dans sa dépression d’enseignant qui ne veut plus enseigner, d’écrivain qui ne peut plus écrire, de philosophe qui ne peut plus penser, une complaisance qui rend les choses faciles et permet au texte de s’égarer. Jusqu’à ce Basile, debout sur son balcon du boulevard Beaumarchais, face à la ville, s’exclame : « Je vous aime, mes semblables, mes frères », avant de conclure :
« Alors, il avait vu s’inscrire en lettres d’or dans le ciel le mot : FIN ».