Entre 1402 et 1986, cent deux théâtres parisiens ont fermé leurs portes. Souvent sans bruit et dans l’indifférence. A travers un ouvrage abondamment documenté, Philippe Chauveau leur rend un hommage mérité. L’histoire commence, à la fin du XIVe siècle, rue Saint-Denis où se dressait, entre les numéros 142 et 164, l’Hospital de la Trinité. Malencontreusement situé près d’un cimetière, il fut peu à peu abandonné. Par lettres patentes du 4 décembre 1402, Charles VI autorisa une association de bourgeois à s’y installer pour donner des représentations de mystères. Ainsi naquit la première salle parisienne. Elles se multiplièrent ensuite rapidement, surtout après la proclamation du décret du 13 janvier 1791 sur la liberté des théâtres. Dès lors, le boulevard du Temple, dit « du crime », attira une foule nombreuse jusqu’à sa démolition, le 15 juillet 1862. Là se trouvaient, entre autres, Les Funambules où le mime Debureau rendit célèbre le personnage de Pierrot. Surnommé Baptiste, il fut incarné magnifiquement par Jean-Louis Barrault dans le film de Marcel Carné, Les Enfants du Paradis. Mais les théâtres comme les hommes sont mortels. La fin des années 80, par exemple, vit la disparition de la Gaîté Lyrique. L’existence de ce lieu prestigieux, dirigé un temps par Jacques Offenbach, s’acheva lamentablement en une sorte de Disneyland baptisé Planète Magique (!). L’échec fut aussi rapide que retentissant. Depuis, la réouverture de la salle est régulièrement annoncée…
L’épaisseur de l’ouvrage pourrait laisser craindre un inventaire indigeste, destiné à finir oublié sur une étagère poussiéreuse. Au contraire, sa lecture ne suscite qu’une envie : partir à la recherche de ces temples du merveilleux, aujourd’hui disparus. L’autre talent de Philippe Chauveau est de faire de l’histoire de chaque lieu un roman à rebondissements, avec ses succès, ses rivalités, ses déboires. Passionnant. De la passion, d’ailleurs, il n’en manque pas, lui qui a consacré vingt-trois ans de sa vie à réunir toute cette formidable documentation. L’entreprise ambitieuse découragea bien des éditeurs jusqu’à la rencontre avec Henri Citrinot, des Editions de l’Amandier. Partageant l’enthousiasme de l’auteur et conscient de l’importance de son travail, il lui a permis de concrétiser ce projet un peu fou. La dernière page tournée, on se prend déjà à rêver du prochain livre que Philippe Chauveau pourrait consacrer aux salles actuelles. Mais ça, c’est une autre histoire…