Prévenons tout malentendu, comme le fait l’auteur dès le début de son ouvrage. Il ne s’agit pas dans ce livre de débattre de la question « Pour ou contre internet » et de se placer dans une vision binaire. Internet est un outil formidable… tant qu’il reste un outil. Car, à son sujet, les réactions deviennent rapidement exaltées : qu’on le refuse en bloc, comme certains technophobes, ou qu’on lui voue un véritable culte, comme ceux que Philippe Breton appelle les « fondamentalistes » d’internet.
Le principal intérêt de cet essai est de porter à notre connaissance les discours, souvent peu divulgués, de ces derniers. On y découvre les diverses sources auxquelles se nourrit le discours du « tout-internet », depuis les écrits des premiers inventeurs de la cybernétique, dans les années 40, jusqu’à la pensée libérale-libertaire, en passant par la contre-culture des années 70. Ces nombreuses influences aboutissent à la formation d’un mélange de théorie et de culte où se mêlent confusément mysticisme et libéralisme. En témoignent ces quelques lignes d’un des grands « fondamentalistes » français, Pierre Lévy, auteur de World Philosophie : « Plus on est virtuel et plus on fait d’argent. Plus on monte vers le monde des idées et plus on est récompensé par le marché. […] Il n’y aura plus de différence entre la pensée et le business. L’argent récompensera les idées qui feront advenir le futur le plus fabuleux, le futur que nous déciderons d’acheter. »
Le Culte de l’internet permet surtout de comprendre la rupture en train de s’opérer entre les valeurs humanistes qui guidaient jusqu’à présent notre vision de l’homme et du monde et les valeurs idéales proclamées par les « fondamentalistes » : égalité de l’homme et de la machine, inutilité de la rencontre directe, danger de la loi, nécessité de tout analyser en termes d’informations et de communication, obligation de la transparence absolue, etc.
On peut néanmoins reprocher à Philippe Breton de faire presque totalement l’impasse sur la question des liens qui existent entre ces quelques théoriciens et la grande masse des utilisateurs. Au-delà des publicitaires et des ultra-libéraux, qui ont tout à gagner à relayer ces discours tant qu’internet leur apparaît comme un moyen de gagner des marchés, qu’en est-il du devenir d’internet ? Ressemblera-t-il aux prophéties de ces gourous ou se modèlera-t-il, comme la plupart des inventions, en fonction de l’utilisation qu’en fera le plus grand nombre ? On regrettera également que ne soient pas davantage évoqués les aspects sociologiques et psychologiques susceptibles d’offrir aux valeurs anti-humanistes le terreau où croître. Philippe Breton a visiblement souhaité écrire un livre clair et loin de tout risque d' »universitarisme ». Mais en se contentant de frôler certaines questions, au lieu de les poser réellement, et d’effleurer certaines pistes au lieu de les approfondir, il a pris le risque de faire un livre à l’image de ceux qu’il critique.