Vous reprendrez bien un peu de Wodehouse ? Les estivants avisés qui, voici quelques mois, étaient partis en vacances avec les délicieuses « golf stories » de l’hilarant recueil Le Doyen du club-house dans leurs valises ne manqueront pas, Noël approchant, de mettre sous leur sapin ces deux traductions (dont une inédite), au format poche, du père spirituel (c’est le moins que l’on puisse dire) de tous les humoristes britanniques. Sa plus célèbre création s’appelle Jeeves, caricature du parfait majordome anglais et garant stoïque de la fin heureuse d’une longue série de comédies romanesques dont nous arrive aujourd’hui un nouvel épisode. Fidèle, discret, habile, diplomate, poli et imperturbable, même dans les situations les plus critiques : Jeeves est la bonne étoile de son maître, Bertram Wooster, narrateur insouciant, aristocrate flemmard et héros de ces aventures futiles dans la haute société londonienne. Le petit théâtre de ces pièces d’une inimitable drôlerie est celui des grands appartements sur Piccadilly et des vastes manoirs dans le Gloucestershire, des salons du Ritz et des richissimes ascendants dont on attend patiemment l’héritage ; entre marmelade d’orange et thé servi sur plateau d’argent, intrigues amoureuses et derniers cancans du grand monde, Wodehouse propulse ses personnages à des années-lumière de la réalité de l’Angleterre d’en bas, de la crise économique et des problèmes d’argent.
Ce Gardez le sourire, Jeeves inédit en est une nouvelle illustration : quiproquos conjugaux, fiançailles avortées de jeunes Lords en vue, fantaisies loufoques de demoiselles gâtées et huis-clos délirants dans des châteaux privés sont au programme. Comme d’habitude, Bertram Wooster passera juste à côté de la catastrophe ; comme d’habitude, l’impeccable Jeeves le sortira sans ciller des pétrins où il se sera enlisé. Comptez au minimum cinq gags par page, autant de jeux de mots à la ligne et, surtout, l’impayable fraîcheur de ce ton badin, piquant et ironique où se concentre l’essence de l’humour british : cet inédit tient assurément la moyenne d’une série antidépressive derrière laquelle on ne sait trop s’il faut voir le brin de critique sociale que consentent parfois à lui prêter ses exégètes.
On prolongera le plaisir avec la réédition de l’une des quelques trois cents nouvelles de Wodehouse (lequel vit tout en grand : un bon millier d’articles de presse, une vingtaine de comédies musicales, autant de pièces de théâtre, 90 livres au total), Webster le chat, parue dans les magazines The American et The Strand magazine en 1932. Où un jeune homme doué pour les arts se voit confier par son oncle, promu vicaire dans un lointain pays africain, un chat du nom de Webster ; la sale bête a le regard froid et une certaine droiture d’esprit qui, bien vite, terrorise notre héros. « Vous connaissez bien des couples où c’est la femme qui porte la culotte, non ? Eh bien, moi, c’est mon chat. » Incarnation ronronnante du rigorisme religieux, allégorie poilue de la moralité à l’ancienne, Webster le chat pourrira la vie de l’ex-joyeux drille jusqu’à une chute insolemment alcoolisée. « Ceux qui n’adorent pas Wodehouse ne l’ont pas lu », disait en substance un critique anglais. Un quart de siècle après sa mort, Stephen Fry et ses disciples reprennent le louange à leur compte. L’humour de « Plum » (pour les intimes) ne perd ni à sa traversée des années, ni à celle de la Manche. Wodehouse, définitivement indémodable.