Les amateurs de thé, de chapeaux melons et d’humour british n’auront probablement pas attendu cette chronique pour se jeter avec gourmandise sur ces onze nouvelles sportives dans lesquelles l’indispensable Wodehouse nous démontre à quel point le golf est plus qu’un simple passe-temps. Un art, bien sûr, une science pour certains, une obsession pour d’autres, un mode de vie, une philosophie, bref : le subtil supplément grâce auquel celui qui le pratique régulièrement s’élève un peu au-dessus de sa condition humaine et devient, justement, un golfeur. Parues en 1922, les histoires de ce Clicking of Cuthbert and Other Golf Stories sont toutes calquées sur un même schéma : aux prises avec l’un ou l’autre de ces jeunes joueurs dépités qui s’apprêtent à déchirer leur carte d’adhérent, le Doyen du Club-House, vénérable puits de science et mémoire sur pattes de ce club de la banlieue bourgeoise de Londres, raconte une anecdote fameuse. Golfeurs excentriques en compétition pour la main d’une jeune fille, chevaliers d’industrie géniaux capables de maîtriser le backswing dès leur coup d’essai, romanciers russes obsédés par la petite balle blanche, bavards impénitents qui polluent les greens de leurs jacasseries, compétiteurs saugrenus s’affrontant sur un parcours de vingt-cinq kilomètres, « du troisième tee de nos links jusqu’au seuil de l’Hotel Majestic, dans Royal Square » : les héros de ces aventures loufoques ont des clubs pleins le cerveau, l’Etiquette (le livre des règles) pour seule Bible et regardent le monde comme un immense fairway.
Pelham Greenville Wodehouse (1881 – 1975), qui a du pas mal arpenter les pelouses soigneusement tondues des terrains entre deux critiques théâtrales (il fut le premier chroniqueur du tout jeune Vanity Fair, en 1910), deux épisodes de ses fameux « Blandings » (le Saturday Evening Post en a fait son feuilleton pendant un quart de siècle) et ses nombreux romans (on lui en connaît quarante-trois), nous raconte tout cela avec l’indéfinissable ton par quoi l’on pourrait caractériser ce qu’est essentiellement l’humour anglais : un dosage d’emphase subtile, de flegme, de mégalomanie, de sens de la répartie et parfois d’un brin de misogynie dont la formule exacte nous échappera toujours, quoi que l’on fasse. Truffées de digressions plus ou moins philosophiques et parsemées d’un vocabulaire sportif typique et parfois désuet (on hooke, on slice, on tope sa balle, on fait le bogey en utilisant son brassie et l’on se mesure à quelque scratchman – la traductrice a prévu un glossaire en fin de volume), ces histoires savoureuses et désopilantes méritent assurément leur place entre les différents tomes des Jeeves sur les rayons anglo-saxons de nos bibliothèques. Sans compter qu’elles réconcilieront peut-être les sceptiques avec ce sport dont le perfide G.B. Shaw assurait qu’il est « la meilleure façon de gâcher une promenade. »