A quoi ressemble le sport en cette fin de siècle ? Peut-on se servir des images et des références de Coubertin ou d’Hébert, ou doit-on renoncer définitivement au mot « sport » et en inventer un autre ? Certes, il existe des points communs entre le début du siècle (sans remonter plus loin) et aujourd’hui, surtout lorsque l’on envisage le sport comme une aventure individuelle. Mais le regard que l’on pose sur lui n’est définitivement plus le même. Paul Yonnet ne parle pas du « sport », mais des « sports ». Il ne parle pas de « disciplines », mais de « systèmes ». Il parle de sport « spectacle » et de sport de « masse ». Il se pose en sociologue. Et son analyse nous fait prendre conscience, si ce n’est déjà fait, que le sport n’a pas changé, que les pratiquants, toutes disciplines confondues, font les mêmes gestes que leurs ancêtres, que la compétition obéit toujours au même désir de gagner, de se surpasser, mais que la société, de tous temps, projette ses fantasmes sur le sport, et lui octroie désormais un rôle tout à fait différent de celui qu’il jouait il y a encore quelques décennies. Le sport ne change pas, il évolue -certaines disciplines disparaissent, d’autres apparaissent-, mais c’est sa fonction dans la société qui change radicalement. Paul Yonnet nous rappelle son rôle éducatif dans l’esprit de Coubertin, son rôle contestataire et courageux au travers du geste de Jess Owens au J.O de Berlin en 1936, son rôle fortement politique et propagandiste dans les pays de l’Est, etc. L’auteur nous fait prendre conscience que le sport est une vitrine vers laquelle le public converge et ne demande qu’à rêver. Car on ne peut envisager le sport sans la dimension « spectacle », d’autant plus qu’à notre époque -et c’est là tout le problème- cette dimension spectacle est en train de grignoter tout le terrain et d’engloutir, comme un raz de marée détruisant tout sur son passage, le sport et les athlètes. De tous temps, le sport est apparu comme une arme sociale et politique, mais la grande nouveauté c’est son arme économique. L’argent, voilà le nouveau lifting auquel il s’est essayé.
Résultat, même les Jeux Olympiques sont méconnaissables, et le geste sportif est monnayé. La performance est et restera spectaculaire, mais c’est toute « l’intox » qui l’accompagne qui met mal à l’aise. Parmi les déviances, comment ne pas se pencher sur un phénomène qui ne date pas d’hier, mais qui se révèle être particulièrement sensible et effrayant à ce jour. Du dopage sporadique et individuel, on est passé au dopage organisé, à une pratique très courante, qui pourrait se résumer à « Dope-toi ou crève ». Sans résultat, le sportif est hors circuit. Le chapitre consacré au dopage est à la fois terrifiant et éloquent. Ce phénomène obéit à un drôle de système de l’offre et de la demande qui échappe souvent à l’athlète lui-même. Si Paul Yonnet a appelé son essai Systèmes des sports, c’est peut-être pour nous rappeler que le système, qu’il s’appelle communisme, conformisme ou démocratie est plus fort que la volonté individuelle et qu’il appartient à chacun d’entre-nous d’attendre du sport autre chose qu’un fantasme et qu’une vie par procuration.
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