Le titre donné à ce recueil de textes de Paul Claudel empruntés à l’ouvrage Au milieu des vitraux de l’Apocalypse n’est pas particulièrement heureux. Certains des textes épousent la forme du dialogue, certains développent des considérations aujourd’hui qualifiables d' »écologiques », mais l’essentiel des propos de l’auteur gravite autour de commentaires poétiques et libres de la Genèse et de l’Apocalypse. A proprement parler donc, ni « conversations », ni « écologiques ». Cette concession faite à la mode s’oublie heureusement rapidement, grâce à la très belle préface de Jean Bastaire, grâce surtout au deuxième texte du recueil, L’Envahissement par le ciment armé. Claudel y décrit la manière dont ce nouveau matériau, dont il pressent l’omniprésence à venir, participe de la médiocrité envahissante de ces constructions où plus aucun élément, dans les détails comme dans les matériaux, ne fait symbole, ne renvoie à une autre réalité, esthétique ou religieuse. Contre la transcendance, la ressemblance de tout, en un monde où « comme toutes les termitières sont pareilles, toutes les hommières se ressembleront ». La confusion s’établit dans le matériau même, où les éléments utilisés (eau, sable et chaux) ne sont plus vivants, se rigidifient les uns les autres, finissent immobiles et morts. Le ciment armé devient alors symbole à son tour, de ce que le corps et l’esprit « ne sont plus qu’un bloc compact maintenu par des tenons de métal », « amalgamés en une seule volonté de refus, en un indestructible parpaing ».
L’Alchimie maudite de l’argent, dialogue entre un père et sa fille sur un passage de l’Apocalypse, dresse le portrait de ce Veau d’or jamais aussi fortement adoré qu’aujourd’hui. Les considérations de Claudel (« la foi ne se pratique plus qu’au niveau du sol et elle s’appelle le crédit, incorporé dans la monnaie ») font écho, comme le souligne Jean Bastaire, aux analyses de Péguy écrivant, dans la Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne : « Par on ne sait quelle effrayante aventure, ce qui ne devait servir qu’à l’échange a complètement envahi la valeur à échanger. Il ne faut donc pas dire seulement que dans le monde moderne l’échelle des valeurs a été bouleversée. Il faut dire qu’elle a été anéantie, puisque l’appareil de mesure et d’échange a envahi la valeur qu’il devait servir à mesurer et à échanger. » Les Animaux malades de l’homme témoignent d’un regard visionnaire sur la mécanisation des animaux considérés par Claudel, à l’exemple de saint François, comme des frères et destinés à faire « l’alliance entre la terre et l’homme ». Dans ce domaine comme dans celui du paysage, le vivant fait place au morbide : « L’habitant des grandes villes ne voit plus les animaux que sous l’aspect de la chair morte qu’on lui vend chez le boucher », « il n’y a plus que des machines utiles, des magasins vivants de matière première. Les serviteurs de l’âme sont morts. Elle n’est plus servie que par des cadavres vivants. » L’homme a créé l’argent et la machine, y a enfermé son âme et les adore désormais à genoux, image désaffectée de lui-même.
L’avant-dernier texte du recueil, Le Mouvement de la création, s’éloigne des considérations dites « écologiques » pour proposer une admirable interprétation de la création artistique qui, à l’image de la création divine, n’est possible qu’à condition d’être précédée par une idée, un effet à réaliser, n’est vivante que dans la mesure où elle suit ensuite, mobile, une attraction. Celle de l’artiste qui reflète celle de Dieu. « Dieu parle. Il crée tout ce qui existe en nommant chaque chose par son nom, puis Il reprend haleine et l’Univers entier suit vers Lui cet esprit qu’Il lui a insufflé. »
Les Conversations écologiques s’adressent à tous, qu’ils soient écologistes et croyants ou qu’ils ne le soient pas. Elles s’élèvent en effet comme un chant que la poésie et la foi de Claudel rendent prophétique. Il est dommage que le recueil s’achève sur un autre texte, tiré de L’Evangile d’Isaïe, où l’interprétation de la Genèse débouche sur un éloge malhabile de la figure de la Mère et sur des considérations (« Satan est le premier marxiste ») habituellement réservées aux prêches imbéciles des catholiques d’extrême droite.