Nom : Simenon. Prénom : Christian. Particularités : frère de Georges, et membre du mouvement rexiste. Avec lui, Patrick Roegiers continue une psychanalyse de la Belgique déjà réalisée à travers l’histoire (Le roman d’un pays), la monarchie (La spectaculaire histoire des Rois des belges), le tempérament national (Le bonheur des belges, Le mal du pays). La couleur est maintenant plus sombre : Roegiers évoque la Collaboration belge avec l’hitlérisme, sous la houlette d’un agitateur ardennais, Léon Degrelle, qui s’est cru le modèle de Tintin et s’est rêvé en mini-Führer. (Jonathan Littell s’était intéressé à lui en 2008 dans un petit essai, Le sec et l’humide). Parmi la foule de pauvres types, de jaloux et de crétins qu’a réunis Degrelle dans son mouvement, on trouve donc Christian Simenon, frère du romancier (il est né en 1906, Georges en 1903), séduit par Rex dès les années 1930, collabo à partir de 1941, bénéficiaire grâce au parti d’un poste dans l’administration. Après guerre, il se planque dans la Légion étrangère, et meurt en Indochine à quarante ans. « Un perdant », résume Roegiers : personnage sans épaisseur, sans idées, suiveur en tout, y compris lors de la tuerie du 17 août 1944, quand les rexistes massacrent 27 civils pour venger la mort du bourgmestre de Charleroi.
Ce personnage était-il assez consistant pour alimenter un roman ? Pas sûr. Roegiers est d’ailleurs obligé d’ajouter d’autres ingrédients, comme l’histoire de Degrelle et les aventures de Georges, le tout entrecoupé de longs tableaux des années 1930 et de l’Occupation. On y retrouve le style habituel de l’auteur, détaché, rythmé, plein de tics, de trucs et de machins. Trop. Ses énumérations sont horripilantes. Exemple : Degrelle, écrit-il, traite les politiciens « de pillards d’épargne, de marchands de papiers gras, de rusés crachoteurs, de piètres pontes encroûtés, de paperassiers falots, de gâteux nécrosés, de matassins dépoivrés, de goitreux empesés, de politicards corrompus », etc. Degrelle est un « histrion, baratineur habille, bluffeur cauteleux, esbroufeur astucieux, paradiste roué, palatin de palinodies ». Autre exemple. En Belgique, il pleut ; ce qui donne, en style Roegiers : « Grise était la Meuse, gris le ciel, gris les maisons et les immeubles, grises les traces de craie au tableau noir, gris le costume des petites gens qui ne cherchaient pas à se faire remarquer, gris le cache-poussière du maître à l’école, grise l’ardoise », etc. Argh ! On ne trouve jamais le bouton stop, c’est exaspérant. Ces feux d’artifices cachent mal le manque d’épaisseur du livre, qui souffre de n’avoir pas choisi son sujet et qui parle au fond moins de ce qu’il promet (l’autre Simenon) que de Rex et de Georges. On en sort sans savoir qui fut Christian, sinon un pauvre homme sans éclat ni confiance en soi, écrasé par son aîné. Roegiers ne l’envisage qu’à travers ses errements politiques, sans aborder la sphère intime ni lui donner la parole. Il aurait mérité, peut-être, un roman qui ne fût qu’à lui.