Il a inspiré un essai célèbre à Michel Foucault, inventé le camping-car de luxe (une roulotte ferroviaire tout-confort, admirée partout où il allait), suscité l’admiration des surréalistes et composé l’une des oeuvres les plus bizarres de notre littérature : c’est Raymond Roussel, l’auteur de Locus solus et d’Impressions d’Afrique, héritier d’une fortune colossale (que gérera le père de Michel Leiris) et héros de cet étonnant roman du galeriste Patrice Trigano, qui avait déjà écrit sur Artaud dans La Canne de Saint-Patrick. Plus qu’un roman, d’ailleurs, Le Miroir à sons est une concaténation de deux textes, et même de trois. En guise d’ouverture, un récit-cadre où l’auteur raconte comment, à l’occasion d’une visite de routine à l’Hôtel Drouot, il tombe sur un lot curieux comprenant un entonnoir, un encrier, une poupée cassée et une cuiller en bois, ainsi qu’un manuscrit caché dans une chemise cartonnée, intitulé Le Miroir à sons. Intrigué, il achète le tout (3 euros) et se plonge dans le manuscrit. Trigano s’efface, place au livre inventé…
Celui-ci est double : d’un côté, le discours non daté d’un homme à son psychanalyste ; de l’autre, les entretiens de Roussel avec le docteur Janet, en 1897, puis une sorte de biographie commentée de l’écrivain au fil des décennies, jusqu’à sa mort à Palerme en 1933. L’analysant du premier récit, évidemment, est obsédé par Roussel, dans l’existence de qui il croit trouver des échos étranges. « Ma vie, dit-il, est entrée en résonance avec la sienne. Son parcours, sa névrose, son oeuvre me fascinent peut-être parce qu’ils prennent la forme d’une tentative désespérée mais méritoire de vouloir réenchanter le monde en partant de sa douleur. Et peut-être aussi pour d’autres raisons qui m’échappent ». Un peu déconcertant au début, le dispositif biscornu, variation sur le récit dans le récit, ne tarde pas à produire son effet : jeux de renvois entre le narrateur et Roussel, entrée dans le dédale de l’inconscient, figures de la folie et du génie sont quelques-uns des thèmes de ce livre bizarre et très réussi, aux limites du roman, du jeu littéraire et de l’essai. Comme le dit le narrateur devant son psy muet : « Comme tout cela se ressemble ! ».