Il y a comme ça des romans qui ne jouent pas à la grande littérature et qui comptent bien plus qu’ils n’en ont l’air. Des romans face auxquels on pense savoir à quoi s’attendre et qui finalement séduisent, surprennent, intriguent. En une quinzaine d’années et quelques livres (Chambre 12 est le huitième), Pascal Garnier a tracé un sillon flirtant avec les genres sans vraiment les épouser, aux abords du roman noir et des quartiers populaires, comme ce petit hôtel du XIIIe arrondissement où le personnage central de ce texte bref et envoûtant travaille la nuit comme veilleur. Charles : le genre exact d’individu dont on ne fait pas un roman, un homme presque invisible, qui dort le jour et gagne son pain lorsque les autres dorment, et n’a de contacts avec ses contemporains que via les quelques mots échangés avec les clients de l’hôtel -VRP économes et jeunes gens pas friqués. Avec un pic de sociabilité lors de ses passages à la caisse du supermarché, toujours la même, et au Balto, le café prolo où l’attendent trois copains : « C’était bien suffisant pour peupler une vie. Le temps glissait sur eux comme une goutte d’huile sur une toile cirée. »
Le décor est déjà bien planté lorsque surgit la femme avec laquelle il traversera les cent pages à suivre et infléchira son destin vers une fin prématurée. Dans un grand manteau blanc, cachée derrière des verres fumés, avec un fort accent, l’étrange et lunatique cliente de la chambre 12 s’appelle Uta Shaeffer -d’après le chauffeur de taxi qu’il paye pour elle, c’est « une cinglée, elle m’a fait faire dix fois le tour du pâté de maisons ». Entre Charles et Uta, couple parfaitement désassorti où chacun semble être l’antithèse parfaite de l’autre, va se nouer une curieuse relation, entre attirance et fascination, un jeu d’aimantation à intensité variable dans lequel c’est Charles qui perdra, sans le savoir encore. Malgré ses efforts, il ne parvient plus à s’intéresser aux projets que lui soumettent ses copains du Balto, avec lesquels il a gagné quelques dizaines de milliers de francs au Loto. Impossible aussi de s’attacher vraiment à Arlette, sa collègue de l’hôtel, qui semble pourtant l’aimer vraiment : Uta s’en va, alors il la suit sur la côte, sans s’imaginer que ce sera son dernier voyage.
L’atmosphère que parvient à créer Pascal Garnier dans ce monde minuscule et anonyme, la maîtrise avec laquelle il met un point final -et subit- à l’existence de son personnage, nous laissant face au vide laissé par la chute (et il s’agit bien de cela : « Il bascula en arrière, les bras écartés. La dernière vision qu’elle eut de lui fut une paire de semelles dont l’une était percée »), donnent ses lettres de noblesse à ce roman mineur, mais toutefois marquant par la violence qu’il contient. Et terriblement lucide : « C’était ça, la vie sur terre, des passages furtifs, de bonnes et mauvaises fortunes. Charles tenait le rôle de saint Pierre et l’ascenseur celui du purgatoire. Le ciel n’était pas si haut que ça, n’importe quel nain sur la pointe des pieds pouvait le toucher du doigt. »