(Découvertes Gallimard)
La première conférence internationale sur l’Afrique a eu lieu à Berlin en 1884-85 au nom du « libre-échange » et s’est traduit par le partage d’une grande partie du continent entre les principales puissances occidentales de l’époque. La France y était présente en bonne position. Elle eut sa part du gâteau sans trop de douleurs. Et ce fut l’une des rares occasions où la grandeur grossièrement affichée de l’impérialisme Occidental se montra prête à remodeler le monde, sans ambiguïté aucune, à l’image de ses propres fantasmes et projections.
Il va de soi que l’on pourrait analyser le fait sous l’angle uniquement économique: toute entreprise capitaliste rudement bien menée sait se donner les moyens aussi bien intellectuels que matériels d’aboutir à ses fins. Celle -par exemple- qui consistait, au sortir de l’esclavage, à transformer des générations entières d’individus, issus des possessions françaises, en chair à fric, et plus tard encore, en chair à canon au nom de la République, n’en a pas manqué. On connaît le fameux couplet de Jules Ferry pour légitimer la conquête coloniale: « les races supérieures ont un droit sur les races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Et on connaît le résultat.
Cependant, l’angle économique ne saurait tout expliquer. Car ceci n’était que l’expression d’un long processus qui allait au gré de l’histoire, et pour longtemps encore, fournir des éléments, plus ou moins contradictoires, mais toujours à caractère tendancieux, qui permettaient ou permettent encore de nos jours à l’opinion française de redéfinir régulièrement son rapport avec des individus qui évoluent en son sein, mais qui sont considérés comme étant des « pièces rapportées ». Des individus issus, à une ou trois générations près, des populations de ses anciennes colonies. Pour mémoire… à la fin du XIXe siècle, l’idéologie coloniale avait su trouver les mots pour inventer le modèle sauvage de l’ »indigène » à qui la République devait à tout prix apporter la lumière. Par la suite, on tenta le coup de la politique d’assimilation. Puis, il y eut les indépendances. Mais le besoin de main-d’œuvre étrangère entraîna un flux d’immigration importante, émanant des pays de l’ex-empire colonial.
Sans trop figer les stéréotypes sur l’Autre (le nègre, l’arabe…), sans trop s’en débarrasser non plus, on fit alors grand cas dans la société française du « phénomène immigré », qui supplanta celui de l’indigénat. L’époque avait changé mais le principe restait le même: selon les besoins, il fallut trouver de nouveaux mots pour mieux intégrer la présence de l’Autre (qui reste un danger permanent). Déconstruire une image pour en mettre une autre qui nous arrange à la place, à défaut de pouvoir assumer pleinement les pages d’une histoire complexe et mouvementée, voilà le fin mot de l’histoire. Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, spécialistes en matière d’iconographie et d’histoire coloniales, se lancent à travers ce livre dans une aventure critique qui dit « avec force et mieux qu’un discours l’imaginaire sur l’Autre, « indigène » puis « immigré », tel qu’il a été vécu depuis la fin du siècle dernier et tel qu’il continue à se vivre actuellement, dans la France des années 90. Il y a des pans entiers de l’histoire qui se perdent, la preuve en est faite ici en 128 pages… Un travail de mémoire, une belle réflexion en somme pour les allumés du discours sur l’intégration. Le débat -certes- reste encore ouvert ! Mais la réalité historique ne saurait trop s’effacer. Bonne lecture.