En mars 1999, Olivier Rolin participait à un colloque organisé au centre Pompidou sur le thème « Le français et le cosmopolitisme » : d’une manière peu banale, en revenant sur l’essence « sans feu ni lieu » de toute littérature (c’est-à-dire nécessairement déliée de toute racine, qu’elle soit géographique, nationale, sociale, historique, familiale ou même personnelle), il y défendait l’idée d’une langue qui, au lieu de se soucier sans cesse de pureté, s’ouvrirait aux mouvements, devenant justement ce qu’il appelle un « mouvement de foule » : « Ce ne sera pas un code unique, épuré, protégé, ce ne sera pas un état, mais une agitation, une vive circulation d’un milieu, d’un état de langue à une autre. Le style d’un écrivain, ce sera ce mouvement-là. » L’ennemi de toute langue, littéraire et populaire, est pour lui insaisissable, pervers et toujours présent : « c’est la langue appauvrie, stéréotypée, que tendent à imposer certains usages contemporains dominants. » De ce programme quasi politique (confesse-t-il lui-même) reproduit en fin de volume sous le titre Mal placé, déplacé, Olivier Rolin a tiré l’idée d’échanges étranges entre deux personnages dans un bistro désert d’une petite ville : La Langue est, comme il le dit lui-même, « un dialogue qui ne va pas de soi ».
D’un côté du zinc, une serveuse venue de la campagne ; de l’autre, un client de passage qui semble être ce que l’on appelle un intellectuel. Dernier protagoniste, et non des moindres : une télévision allumée d’où s’échappe le magma de lieux communs et de formules préconçues. Voilà l’enjeu de cette petite pièce curieuse et subtile : une lutte hasardeuse et incertaine entre la langue littéraire (l’intellectuel), la langue populaire (la serveuse) et la langue de bois (la télévision), dans laquelle les deux premières, alliées, cherchent à s’échapper des pièges sournois tendus par la dernière. L’auteur parle de ce discours formaté comme d’ »une sorte d’ectoplasme incarné, qui ne cesse de se réaliser sans jamais être personne », et en fait un condensé faiblement articulé de ce que l’on peut entendre et lire quotidiennement dans la bouche et sous la plume des journalistes, des ministres et des décideurs -c’est la langue des « nouveaux maîtres ».
Face aux stéréotypes insignifiants, aux platitudes consensuelles dont est fait ce discours qui resurgit partout, il place ses personnages sur la voie inverse, les laissant évoluer dans un dialogue fantaisiste et pas toujours constructif, où rien n’est compris d’avance et où tout est à dire. Ce combat désordonné entre la délicieuse incertitude d’une poésie retrouvée et la tyrannie du stylistiquement correct, au-delà de la thèse défendue, parvient à une réelle originalité et à pas mal d’humour, même s’il est certain que l’on perd à ne pas l’entendre interprété par des acteurs. Mais sur scène ou sur papier, la parodie qu’il donne du discours ambiant demeure irrésistible. Exemple : « Les borborygmes et autres avachissements sonores sont suggérés à titre purement indicatif. On peut en inventer bien d’autres. » Vous avez la télé ? Alors, à vous de jouer.