On ne sera jamais assez reconnaissant à la littérature anglo-saxonne de venir, entre deux querelles parisiennes du milieu, remettre sans façons à sa place notre intellectualisme stérile et bavard. Car chez les anglophones, publier un premier roman ne signifie pas pondre sa névrose libido-rockisante de petit planqué immature chétif et mégalo, rien que pour prendre la pose du type qui n’en pense pas moins aux comptoirs des cafés suffocants du onzième arrondissement de la capitale.
Nikki Gemmel est australienne et a écrit ce premier roman à 26 ans, après être passée par les ateliers d’écriture de la fac, à Sydney (ateliers d’écriture ? berk !). Nikki Gemmel n’érige pas la littérature en loi universelle (ah bon ?), elle est sportive (berk !), ne fume qu’un petit cône de temps en temps, ne boit pas (berk !), elle a les dents blanches (berk !), vous regarde droit dans les yeux, aime les oiseaux, les couchers de soleil multiples du pôle Sud et, comme toute bonne protestante responsable, pragmatique et élevée au grand air qu’elle est (berk !), elle sait se débrouiller avec les éléments. Quant à son livre, il lui ressemble : humble, efficace, sans chichis, drôle, sensuel, introspectif et altruiste tout à la fois, émotif et vivant, maîtrisé, instructif, captivant, bref, parfait (parfait ? berk !).
Fin, jeune chroniqueuse radio de faits divers à Sydney, se rend en Antarctique à bord d’un brise-glace afin de couvrir une expédition scientifique pendant deux mois. Voyage initiatique, épreuve du dénuement géographique, social et moral, épreuve des hommes, de l’amour, de la douleur, elle en reviendra changée pour toujours, essentielle et distanciée.
Passé le côté philosophique du récit, reste le reste, qui vaut toute la philosophie du monde : les ciels versatiles de l’aurore boréale, le chuintement de la glace contre la coque du bateau, l’émotion causée à bord par la mort d’un phoque, une veine saillante sur le bras de l’homme aimé, le néo-romantisme d’un e-mail d’amour, les tics de l’impatience amoureuse, un cri de jouissance étouffé sous la douche, la fuite en avant d’hommes d’équipage tous blessés à l’âme un beau jour. Reste la vraie vie dans ses détails, que Nikki Gemmel saisit en passant avec une telle justesse, avec intuition et poésie, sans s’attarder, comme les vrais écrivains, qui savent d’un rien prouver à qui voudra l’entendre qu’ils pourraient tout dire : « Je sens l’amour se diffuser dans mon corps comme de l’encre qui glisserait dans l’eau. Sa certitude bannit de mon sommeil l’affolement d’être seule. Je me baigne dans cette délivrance. Je sens une sérénité me traverser, j’ai l’impression d’être plus grande quand j’arpente le bateau. »
Oui, on ne sera jamais assez reconnaissant à la littérature anglo-saxonne de nous faire entrevoir parfois que si la littérature a un sens, c’est bien celui de porter à notre connaissance le langage improuvable des hommes et des choses afin de tenter de nous rendre meilleurs.