Attention, phénomène : publié par un teenager new-yorkais à l’âge de 17 ans, Douze a fait un carton sans précédent aux Etats-Unis avant d’être traduit un peu partout dans le monde. Hystérique, la presse internationale parle d’un jeune prodige tenant autant « de Camus que d’Eminem », un digne successeur d’Ellis et de Joan Didion, une version actualisée du Journal d’un oiseau de nuit de McInerney, voire un lointain héritier de Fitzgerald. Hunter S. Thompson, sympa, a même donné son verdict pour la quatrième de couverture : « Nick McDonell va, j’en suis sûr, incarner pour sa génération ce que j’ai incarné pour la mienne ». Bref, le roman débarque en France avec un curriculum vitae pour le moins chargé, suscitant à la fois méfiance incrédule (on est souvent déçu par les jeunes prodiges) et curiosité impatiente. Après 320 pages d’errance dans New York, de doses de dope vendues à prix d’or, de futilités adolescentes et de petites coucheries entre faux amis, il faut bien admettre que même si son roman ne révolutionne rien, McDonell ne manque certainement pas de talent. Sorte de tragédie moderne et urbaine en cinq actes (du 27 au 31 décembre), Douze raconte les histoires entrelacées d’une bande d’adolescents riches et banals, issus de familles elles-mêmes riches et banales : on vit à New York dans des demeures gigantesques où s’active le personnel domestique, on ne voit pas très souvent ses parents, on se fait offrir des cabriolets rutilants à Noël, on a un aquarium rempli de piranhas au-dessus de son lit et, surtout, on se shoote à s’en faire exploser les narines, comme si ça faisait partie du minimum vital de l’homme moderne.
Dans des chapitres courts et incisifs, McDonell enchaîne les saynètes avec un regard quasi-cinématographique, et c’est d’ailleurs sa principale réussite : la sécheresse délibérée de son style et le minimalisme revendiqué de l’action (peu ou pas de descriptions, des dialogues courts et creux, des passages de quelques lignes à peine pour rythmer la lecture) lui évitent de s’embourber dans l’insignifiance et donnent à son écriture une forme de poésie inespérée, là où on craignait l’habituel réalisme cynique des clones ellisiens. Zappant littéralement d’un personnage à l’autre, il s’interdit de trop bien les connaître ; presque indifférenciés, ils en deviennent ce que l’auteur veut qu’ils soient : des exemplaires quasi-anonymes d’une génération pleine aux as mais vide de tout dont la recherche effrénée de sensations fortes (fêtes, drogue et armes à feu) fait office de voie de garage existentielle. Par ordre d’apparition à l’écran : White Mike, étudiant modèle et dealer très bien organisé ; Hunter, basketteur amateur arrêté pour un meurtre commis sur un playground ; Chris, riche, timide et encore vierge ; Laura, bombasse opportuniste qui vient de découvrir une nouvelle drogue aux effets ahurissants, la « douze ». Les destins de tout ce petit monde convergent vers la soirée du 31 décembre, organisée contre son gré dans la grande maison vide de Chris, où tout se finira, comme il se doit, en carnage. Si Columbine n’avait pas encore eu lieu lorsque McDonell a écrit son roman, c’est bien aux Elephant (le film de Van Sant), Défaits (le roman de Cooper) et autres Larry Clark qu’il fait songer par son regard froid et désenchanté sur la jeunesse bourgeoise américaine. McDonell n’est certainement pas (en tous cas pas encore) un écrivain original, mais son roman n’est certainement pas insignifiant non plus. Un peu trop de bruit, sans doute, mais pas complètement pour rien.