Murong Xuecun fait partie des chefs de file d’une nouvelle littérature chinoise dont on peut résumer ainsi les deux caractéristiques majeures : ses thématiques sont résolument urbaines, contemporaines et sociales, et ses auteurs ont une façon bien spécifique d’accéder à la notoriété, celle du web, la plus simple et efficace sans doute dans un pays qui pratique encore la censure. La cyber-littérature en Chine a de l’avenir. On se souvient de Mu Zimei, qui fit scandale en racontant sa vie sexuelle sur son blog, avant de voir ses oeuvres éditées et auréolées d’une réputation sulfureuse, suffisante pour doper les ventes à l’étranger. Des histoires personnelles ou journaux intimes qui alimentaient les sites il y a quelques années, on est passé aujourd’hui à un portrait réel et cru de ce que devient la société chinoise. Le Net offre une nouvelle façon d’écrire, permettant la rencontre avec un public plus large et une accession à la notoriété qui passe par de nouveaux canaux. Les premiers auteurs à avoir exploré cette voie l’ont fait dès la fin des années 1990 ; aujourd’hui, la relève arrive, et parmi elle Murong Xuecun. Oublier Chengdu, publié en 2002 sur l’un des sites littéraires les plus importants du pays, a immédiatement connu un succès impressionnant et engendré nombre de discussions sur le nihilisme des grandes villes, la désincarnation des foules ou les ambitions monétaires vides de sens des nouveaux travailleurs chinois.
Oublier Chengdu raconte tout ça à la fois. Avec le développement du pays, son entrée dans le cercle des pays développés et la croissance subite de ses cités, la Chine se découvre de nouveaux horizons. Et s’adapte. Chez Chen Zong, 28 ans, directeur commercial d’une boîte modeste et personnage principal du roman, la promotion sociale, comme chez beaucoup, passe par l’argent. Pour en gagner toujours plus, tout est bon : trahisons, magouilles et autres compromis avec soi-même. Ce qui n’arrange pas les choses dans son cas, c’est sa femme : une tendre épouse qu’il aime mais dont il ne se contente pas et qu’il trompe dès que l’occasion s’en présente. Argent et femmes sont les seules ambitions de Chen Zong. Rien à côté pour contrebalancer ces envies dévorantes : pas d’idéaux, pas d’avenir. La modernité expose ses limites. Le réveil risque d’être brutal. Devenu veule, opportuniste, égoïste et prêt à tout pour se satisfaire, Chen Zong va finalement se trouver confronté à ses pires cauchemars.
L’auteur, Murong Xuecun n’est pas un optimiste. Il se décrit comme un pessimiste sans ambitions. On peut sans doute chercher chez son personnage ses propres facettes de bon vivant. Il se présente aussi comme un touche à tout, dilettante qui écrit avant tout pour s’amuser, sans s’attendre à entrer dans la famille des belles lettres chinoises. Il n’empêche qu’il restitue parfaitement le climat étouffant qu’il veut décrire, mêlant dans une même ville des gens de tous horizons, sans histoire, sans passé, sans repères ni perspectives. La perte de sens fait le vide de leurs existences. Murong Xuecun témoigne en romançant les évolutions de la société à laquelle il appartient. Son succès est sans doute la meilleure preuve, s’il en fallait une, de la vérité de son texte. Internet, le meilleur vecteur de la pub littéraire aujourd’hui ? En tous cas, un bon moyen pour faire émerger ces nouvelles plumes qui viennent chatouiller là où la Chine s’égare.