L’intérêt pour la littérature érotique prête souvent à caution : loin d’être considérée comme un genre à part entière, avec son histoire, sa tradition et ses codes, elle semble n’être appréciée que par des collectionneurs compulsifs et ne pas vraiment intéresser les amateurs de passage. Peur d’avoir à justifier tout un pan de sa bibliothèque, de ne pas savoir expliquer l’amusement et la curiosité intellectuelle qu’inspire ce type de grivoiseries, de passer pour un voyeur anachronique ? C’est à regret qu’on laissera les esprits chagrins se priver de cette originalité persane et avec enthousiasme qu’on conseillera aux autres d’y jeter un œil attentif ; ce recueil de textes de la seconde moitié du XIXe siècle met en effet à mal le cliché de l’érotisme oriental raffiné et délicat : tout n’y est que franche obscénité et crue dérision. Le texte de Mirzâ Habib Esfahâni est à lui seul une merveille de réalisme : l’auteur y décrit les effets et agissements de sa propre virilité, depuis l’âge d’or où « il reçut de Yousef et d’Abû Hanife / Une fatwa pour le con tout comme un vrai Calife / Il ne s’étonna pas bien sûr c’était normal / Que les sunnites du coup le mettent à mal / Il devint donc chiite sans plus dissimuler / Envers et contre tous continua d’enculer » jusqu’à son déclin organique : « lui qui déchargeait de quoi remplir un bain / Il n’a plus assez d’eau pour s’y laver les mains ». Franchement hilarant, le style n’est pas sans rappeler Baffo, même si le traducteur a opté pour un lexique résolument moderne.
En complément, l’Epître de la queue se voit adjoindre les Douze séances salées de Mohammad al-Hilli, savoureux mélange d’érotisme, de poésie et d’érudition. Douze saynètes qui, à la manière d’un nouvelliste borgésien, font intervenir le même protagoniste sous des traits différents. Que ce soit dans les scènes de dialogue ou de bataille (« Le contact est terrible, les pertes sont énormes. L’ennemi tout englué ne peut plus avancer : la première ligne a déchargé »), tout est centré autour de l’usage du sexe masculin, dans ses utilisations les plus banales comme les plus insoupçonnables. Si le texte est moins enlevé, moins recherché que l’Epître, sa vocation humoristique ne pâlit pas ; il ne se départit pas non plus d’une sorte de sagesse pratique que l’on aimerait bien voir cultivée, comme en attestent les vers suivants : « Ami grâce à toi je pars plus léger / Le ventre plein, les couilles vidées / Toi tu as tout le temps d’échapper à l’enfer / Pour moi c’est trop tard, le paradis m’attend / J’ai beau me repentir il n’y a rien à faire / Passé un certain âge ni l’estomac s’étend / Ni l’appétit revient ou le membre se tend ». Un propos qui ne dépasse pas les limites d’un certain pragmatisme, mais qui reste à chaque ligne d’une indéniable sincérité, dans le souci de transmettre un vécu sobre et sans fioriture. Ces deux oeuvres permettent de découvrir un genre méconnu, le hazl, tradition séculaire qui fait de la pornographie un art à part au sein de la littérature orientale. Audacieuse publication, l’Epître de la queue vient à point pour rappeler deux choses souvent oubliées : la littérature érotique dans son versant le plus cru n’est ni le fait du XVIIIe siècle, ni celui de l’Occident.