Michel Le Bris, on le sait, est essayiste, organisateur de festival (« Etonnants voyageurs », à Saint-Malo) et romancier : le roman ne constitue qu’une part réduite de son oeuvre, influencée par celle de Stevenson dont il est l’un des spécialistes en France. La comparaison, cependant, en reste là : La Beauté du monde, finaliste du Goncourt 2008, ne possède rien de la dextérité ni de l’ingénuité fictionnelle des écrits de Stevenson. En versant sur plus de 600 pages dans un exotisme suranné qui alterne entre safaris-brousse et scènes de rues chaotiques dans le Manhattan des années folles, c’est surtout un livre pesant, surchargé de poncifs, d’une longueur inexplicable, et qui s’essouffle dès les premières pages.
Le roman s’ouvre sur un « Journal de Winnie, 1938 » qui, stylistiquement parlant, n’a rien d’un journal (écrit au passé et truffé de dialogues, il ne fait pas vraiment l’effort de ressembler à un journal). Mais peu importe : avec la description plutôt réussie de ce paysage africain filmé depuis le cockpit d’un avion, on serait dans le « souffle », les grands espaces, la lumière, le « frisson ». Engagée comme « nègre » pour écrire la biographie d’une aventurière, Winnie introduit le lecteur dans l’intimité d’Osa Johnson, Américaine de carte postale et femme moderne avant l’heure, émancipée par la terre africaine. D’emblée, Le Bris fait les mauvais choix : celui de l’aventure à la sauce Hemingway, celui d’un naturalisme sans âge et surtout sans joie. Les intentions (l’hommage à une femme d’exception dans un monde de mâles) sont bonnes mais la lourdeur du propos est immédiate, tant les images convoquées pour l’illustrer sont jaunies, cornées, parfois risibles (des troupeaux de gnous à « l’ahurissante cacophonie » du jazz new-yorkais en passant par un « ballet de torses luisants » à bord d’une locomotive dans l’ombre du Kilimandjaro). 100 pages suffisent à plonger le lecteur dans l’ennui le plus profond.
Cette fatigue d’une soi-disant « littérature-monde », si tant est que ce terme ait un sens, n’est jamais plus évidente que dans les platitudes qui émaillent des dialogues que les Johnson et leurs proches prononcent avec un aplomb aussi formidable que déconcertant. « La Conquête de l’Ouest. Qui peut nier que si l’Amérique ne ressemble à aucun autre pays, c’est par ce rapport si singulier à l’Ouest ? L’Ouest ! Autrement dit, sa part sauvage… », affirme un personnage. « Si seulement Jack London avait été là, il serait venu avec des gants de boxe », dit un autre. « Tous les voyageurs savent bien qu’on ne voyage que pour se perdre», continue Osa Johnson… A ces facilités s’ajoute l’absolu manque d’ironie d’un récit linéaire où les contrastes n’existent pas. Il y avait, pourtant, un vrai sujet : un couple yankee qui fut à la brousse africaine ce que Zelda Sayre et Francis Scott Fitzgerald furent au New York des années 1920. Cette manne potentielle se transforme malheureusement en marécage où se reflètent quantité d’images qui fleurent bon le tourisme à papa, comme cette scène où l’héroïne laisse couler ses larmes sur la fourrure du lion qu’elle vient d’abattre dans le bush. Certains lecteurs seront sans doute touchés par la beauté de ce monde-là, mais parions que plus nombreux seront ceux qui capituleront devant ce catalogue des lieux communs d’un monde qui n’en méritait pas tant.