De sang-froid. Le livre refermé, c’est la note dominante qui perdure. Deux êtres figés dans leurs contradictions, leurs paradoxes, prisonniers de leur errance vont tuer. L’histoire remonte bien avant que Truman Capote n’écrive sa magistrale enquête sociologique du même nom sur les deux tueurs qui assassinèrent au fusil de chasse quatre membres d’une même famille. Meyer Levin consacrait déjà avec Crime le reportage policier. Et les similitudes avec le livre de Capote -l’échafaud en moins comme point d’orgue-, dans la méthode (compte rendu du procès, « interrogatoire » des habitants, etc.) ne s’arrêtent pas là. Il est rare de voir l’Amérique mise à nue au travers d’un « récit véridique d’un meurtre et de ses conséquences ».
A Chicago, donc, en 1924, l’auteur fut le témoin privilégié et l’acteur (le détonateur en fait du début de l’enquête) d’un meurtre qui défraya la chronique. Deux adolescents persuadés de commettre le « crime parfait » sur la personne d’un jeune garçon, deux nihilistes gorgés de théories consacrant le surhomme, s’entraînent l’un l’autre dans une logique implacable où la mort tient lieu de viatique. Et s’il est « des crimes où se condense toute l’atmosphère d’une époque », celle restituée par Meyer Levin glace jusqu’au sang. Car l’atmosphère de Crime, celle d’une communauté où derrière le luxe et les codes de bonne conduite apparents se trament les pires sévices (dévoilés ou non dans le roman), rend compte d’une réalité complexe. Tout se concentre et converge vers cet acte -le meurtre- sans mobile apparent, et qui trouve encore aujourd’hui par sa brutalité (le cri no future avant l’heure), une résonance particulière.
A ce stade de la chronique, il semble inopportun de préciser que la minutie avec laquelle Meyer Levin relate ces faits -élaboration de l’enlèvement, demande de rançon, exécution, fuite en avant, etc.- tient du tour de force. Il réserve du reste au lecteur de belles pages de littérature, notamment lors d’un procès où s’affrontent deux conceptions de la justice humaine : celle du châtiment, et celle, plus « progressiste » dirons-nous, de la pitié. Cette dernière l’emportant, elle mènera ses deux protagonistes à une improbable rédemption. Les acteurs de ce drame, passé le choc de l’enfermement (à vie), n’ayant plu qu’à faire preuve, dès lors, de rémission et de don.