On en a beaucoup voulu à Mehdi Belhaj Kacem de ne pas tout faire pour être compris de tout le monde. Esthétique du chaos et Society auraient sûrement rencontré meilleures réactions et meilleurs juges si leur réalisateur était titulaire d’un laisser-passer universitaire. La singularité réside justement dans ce geste très simple -et exigeant- consistant à faire sortir la philosophie de l’université pour la réactiver, via des problématiques nouvelles, au contact de la littérature, ou de la psychanalyse, et ce de façon libre, tant stylistiquement qu’esthétiquement. La préoccupation de L’Essence n de l’amour est inverse : comment fixer, par un discours simple, communicatif, la vérité métaphysique de l’amour et ses comportements ? Comment enjamber le bavardage continu autant que les assertions les plus désastreusement répétées, pour toucher au cœur de ce phénomène humain pour le moins mystérieux ? Conçu quasiment pendant le film Sauvage innocence, et en marge de son séminaire de philosophie (Evénement et répétition, à paraître), l’ouvrage est un discours autant qu’une lettre, sur l’épineux et infini problème que la relation affective et sexuelle avec l’être aimé instaure dés son commencement.
Une analyse, un décryptage minutieux autant qu’éclairant de l’amour, passe par celle des voies qui le composent : ainsi la sexualité (appréhendée sous ce qu’elle procure, la jouissance) est caractérisée comme la chose non éternisable par excellence ; d’où la nécessité signifiante et opposée de l’amour qui, lui, après la première instance de désagrégation de deux narcissismes, est défini comme une « jouissance éternisée sans répétition ». L’amour est une apparition, certes bouleversante, mais soumise à la disparition et au non renouvellement au sein d’une vie. Le désir, abordé sous ses deux optiques masculine et féminine, constitue moins, dés lors, la plénitude du relief amoureux que l’écoute qui « écoute l’affect (Vibration intérieure du Rien), au plus noué de la syncope intime, qu’il retourne de la jouissance, ou de la souffrance traumatique. » L’oubli de cette écoute, la destruction de cette sonde aussi fine et lumineuse, amène la vraie catastrophe amoureuse en termes de conséquences.
L’Essence n de l’amour prend pour références -qu’il assimile, dépasse ou contre- les figures de Lacan, Kierkegaard ou Sollers ; chacune d’elles est là pour rappeler non une tradition du discours psychanalytique, philosophique ou littéraire habité par l’amour, mais la vérité ponctuelle que ce dernier consent parfois à dévoiler. Mehdi Belhaj Kacem vient d’ajouter sa pierre précieuse à l’édifice ; gageons que ce n’est sûrement pas la dernière.