Une technique du chaos appliquée (une approche en fait), à l’usage de tous, et élaborée par un adolescent (au moment où il écrivait le livre) empli d’une rage féconde. En effet, dans ce roman aux accents ducassiens, l’appropriation -féroce- du langage produit de curieux tremblements. La prose de Mehdi Belhaj Kacem est tour à tour élégante, furieuse, toujours faite pour heurter. Un seul mot d’ordre : tout oser pour ne pas laisser indifférent. Cancer a pour ambition de propager cet antivirus ; c’est un roman d’une rare violence, restituant quelques scènes de la vie d’un exilé volontaire (exilé du monde des grandes personnes), stigmatisant leurs lâchetés pour ne pas y sombrer. On reconnaîtra à son auteur une manière bien à lui d’épouser son époque tout en s’en soustrayant. On ne s’adapte pas, jamais. Nos vies d’intermittents du spectacle se soldent continuellement par des désastres. L’hostilité se manifeste de toute part. La réponse ici formulée est sans concession.
Oscillant entre profession théorique et verve poétique, Mehdi Belhaj Kacem passe au crible de sa conscience foudroyée les usages (pensée, corps, les deux étroitement liés) du temps. Pour cela, il se base sur des expériences personnelles (sur le mode « on ne parle bien que de soi ») : tentatives d’intimidation au lycée de professeurs tentant de lui inculquer cette foutaise que sont les « normes sociales », affrontement de la famille, autre corps nocif précipitant l’affaiblissement, si vous n’y prenez pas garde, et à ce titre méritant tout simplement la mort. L’écriture vue comme une résistance au néant (le vide qui nous entoure), afin de le repousser. Arrivé au terme de ce roman arrachant une forme à l’informe, on suffoque un peu. Parfois, on frôle l’indigestion. Mais ce n’est pas une mince victoire -sur lui-même- pour un auteur que d’avoir tenté cette confrontation. Cancer ou une onde de choc générant plusieurs variations, et dont certaines perdurent encore dans notre esprit.