New York, Philadelphie, Washington, San Francisco, Los Angeles et Chicago : six métropoles américaines pour six « vies » imaginaires, soit autant de nouvelles corsées écrites à la suite d’une série de voyages chez l’Oncle Sam, entre 1999 et 2001. Six manières, aussi, de mettre le plus de distance possible entre soi et les petites préoccupations d’un Paris littéraire dont on sait combien Max Genève aime à vilipender la futile nullité (on se souvient du mordant Le Salon, paru en 1986, dans lequel il se livrait en pionnier à une tentative de démolition récemment prolongée par quelques pamphlets vite étouffés). Rien en commun, pourtant, entre les gratte-ciels des villes américaines et l’Alsace natale (Mulhouse pour l’état-civil, Strasbourg pour le reste) de Jean-Marie Geng, docteur en sciences sociales et essayiste devenu Max Genève pour entrer en littérature (un passage pseudonymique raconté dans La Prise de Genève, en 1980) : le romancier n’en goûte pas moins les mythologies d’outre-Atlantique, la manière percutante des écrivains américains et leur insurpassable excellence en matière de polar, genre auquel lui-même a succombé en inventant Simon Rose, héros récurrent d’une série disponible dans la petite collection « Quatre-Bis » de son éditeur, Zulma.
Mes vies américaines, donc : six textes brefs et impeccablement troussés, que l’on engloutit en quelques dizaines de minutes comme on le fait avec ces récits noirs anglo-saxons auxquels il a manifestement voulu rendre hommage. Pour chacun, une ville, une couleur, une ambiance et, last but not least, une chute adroitement amenée à la découverte de laquelle on se retourne stupéfait, vexé et satisfait de s’être laissé berner par les innocents discours de narrateurs qui ne payent pas de mine. New York : un brave excentrique habitué à dormir à la belle étoile dans Central Park est témoin malgré lui du meurtre par balle de cinq flics qui passaient par là. « Légèrement sur ma gauche, j’ai vu une forme humaine qui avançait accroupie, le type a regardé dans ma direction sans me voir, il portait une cagoule car il m’a semblé ne pas avoir de visage. » Pas de visage, en effet : rendez-vous quinze pages plus loin pour comprendre. Washington : au moment d’embarquer pour l’Amérique du Sud pour une conférence qui l’ennuie au plus haut point, un poète croise un farceur de ses amis qui lui ressemble pas mal et à qui il propose d’y aller à sa place. L’autre prend l’avion à sa place, notre poète rentre à la maison : il y trouve sa femme en pleine séance coquine avec son meilleur ami, et apprendra quelques temps plus tard que le Boeing s’est crashé sans survivants. Il n’est pourtant pas au bout de ses surprises. Chicago : une secrétaire sans importance est invitée par le big boss de la boîte à prendre son ascenseur privatif pour grimper au quarantième. Manque de chance, il tombe en panne ; en quelques pages, l’écrivain surchauffe l’atmosphère au point de la faire dérailler et, de la Tour infernale, passe à Brazil et à un Vingt mille lieues sous les mers sinistrement kafkaïen. Genève raconte ses histoires avec une ironie malicieuse et une sobriété consommée en prenant soin, titre oblige, de caser dans son décor quelques grands classiques de l’Amérique littéraire et policière (le flic véreux, le self made man, les « abords de la 125e rue », le building géant, les chaînes tout-info ou encore le anti-héros sans rien d’extraordinaire, au premier regard en tous cas). Le meilleur compliment qu’on puisse lui faire tient sans doute en trois mots : on s’y croirait.
Max Genève est l’auteur d’une vingtaine de romans et récits parmi lesquels « L’ingénieur du silence », paru voici deux ans