Chirurgien extatique du Grand-Guignol, Maurice Level accommode l’épouvante à la sauce cruelle. De son vrai nom Jeanne Mareteux-Level, Maurice Level (1875-1926) avait d’abord commencé une carrière de chirurgien avant de devenir journaliste, dans les pages du Figaro, à la Vie Parisienne et au Matin. Auteur de plusieurs recueils de nouvelles (Les Oiseaux de nuit, Les Morts étranges, La Malle rouge) et de romans (Lady Harrington, La Cité des voleurs), il est surtout connu pour ses nombreux contes noirs. On lui doit en effet plusieurs pièces d’épouvante qui furent représentées en leur temps avec succès sur la scène du fameux théâtre de la rue Chaptal, le Grand-Guignol d’Oscar Méténier. A ce titre, il fut l’un des rares auteurs du répertoire à avoir été traduit en anglais (Crises: A Volume of tales of mystery and horror -1920), avant d’être joué aux Etats-Unis. Salué par H.P.Lovecraft en personne, dans son curieux petit manuel d’Epouvante et surnaturel en littérature, Level est devenu là-bas un auteur culte dont on retrouve la trace jusque dans les pages de la célèbre revue Weird tales et son influence se fera durablement sentir, moins sur Lovecraft lui-même, que sur les auteurs de thrillers (William Irish, Robert Bloch, etc.). L’une de ses nouvelles fit même l’objet d’une adaptation officieuse pour les EC horror comics, The Haunt of fear dans les années 50.
Bien qu’encore régulièrement publié dans le monde anglo-saxon aux côtés d’Edgar Poe ou d’auteurs plus contemporains, Maurice Level a par contre bel et bien sombré chez nous dans l’oubli le plus profond. La réédition du recueil Les Portes de l’enfer, daté de 1910, témoigne de ce que, l’un comme l’autre, ces jugements sont pour le moins excessifs. Certes, n’est pas Edgar Poe qui veut. Le Français est loin de posséder le génie de l’Américain et quelques-unes de ses meilleures nouvelles ne sont jamais que d’habiles « à la manière de… « . Ainsi, le narrateur de Sous la lumière rouge, désespéré par la mort soudaine de sa fiancée, prend une dernière photo de son visage avant l’inhumation. En développant le cliché, il constate avec terreur que la photo est floue. La nouvelle est efficace, mais l’apport de la photographie ne fait jamais que moderniser un canevas ultra-classique d’enterrement prématuré.
« – J’ai !… J’ai !… Misérable ! Bandit ! Assassin que je suis ! J’ai !… qu’elle n’était pas morte !… J’ai !… Que les yeux ont bougé !… ». Heureusement Level choisi également ses modèles parmi ses compatriotes : Marcel Schwob (son oncle), André de Lorde (son compère du Grand Guignol) et surtout Villiers de l’Isle Adam, dont il adopte l’esthétique des Contes cruels. A ce titre, les nouvelles qui composent Les Portes de l’enfer -un bien grand titre qui ne présage pas de son contenu- s’inscrivent dans la tradition d’une « inquiétante étrangeté » typiquement française. L’auteur ne recourt jamais aux artifices du fantastique ou du surnaturel. Chez lui, nulle trace de vampire ou de loup-garou échappé du folklore infernal, au contraire une sorte de naturalisme brut, un déterminisme tragique à base de passions humaines exacerbées, d’adultères, de vengeances et de folie criminelle…
Puisant leur source dans le quotidien des drames judiciaires et des faits divers sanglants, ces petits contes noir usinés à froid mettent en scène de malheureux quidams englués dans des tortures psychologiques atroces, jusqu’à ce qu’une fin abrupte, d’un humour noir aussi tranchant que le couperet d’une guillotine, ne les en délivre, définitivement. Le genre est à la mode. Maurice Level, mais aussi Octave Béliard, Alfred Binet, Frédéric Boutet, etc. écrivaient des histoires de suspense, en France, comme jamais on ne le fera plus.
L’épouvante en blouse blanche est une figure récurrente du Grand Guignol. Habitué des hôpitaux, Level ne se prive pas d’en rajouter (Le Droit au couteau, Le Disparu, Un Savant, etc.). Il joue des frayeurs de son époque. Une médecine trop hardie est une médecine qui fait peur. Beaucoup plus qu’un simple savant, le médecin-chirurgien est un expérimentateur. Ayant percé tous les secrets de la vie, c’est un véritable droit de vie et de mort qu’il a acquis sur ses semblables.
« Je l’avais, moi cette puissance surhumaine, je l’avais !… Mais la voix mauvaise, la hideuse voix de l’implacable curiosité scientifique, hurlait si fort à mes oreilles, que je n’entendais plus celle de ma conscience. Je fus sur le point de crier : « Tiens ! Voilà ! Prends ! Ta femme est sauvée !… ». (…) et je t’ai répondu : « A quoi bon ? … Ce serait augmenter ses souffrances !… » (Un savant). « La férocité est le fond de la nature humaine », disait Mirbeau, Level est plus consensuel. On peut le regretter. Parisien dans l’âme, sportman émérite, farouche patriote… il est toujours moins cynique que Villiers, moins cruellement désespéré que Mirbeau et écorché que Bloy. Level n’avait rien d’un révolté. Pas même un misanthrope. Au contraire, il ne se départi jamais d’une vraie tendresse pour la cohorte de miséreux, les pauvres, les gueux, qu’un sort injuste s’acharnait à poursuivre. L’épouvante n’interdit pas la compassion. C’est aussi ce qui fait le charme attrayant de ces petits tableaux macabres exhumés du fin fond de nos bibliothèques.