Matthew Kneale avant tout est romancier, lauréat en 2000 du Whitbread Book pour Le Pasager anglais, nominé la même année pour le Booker Prize. Avec ces Petits crimes dans un âge d’abondance, il s’essaie à la nouvelle : douze textes courts pour portraiturer notre monde, douze textes ancrés dans le quotidien, l’actualité, mêlant absurdité terrifiante et ironie triste, douze textes portés par des idées souvent excellentes mais plombés par l’écriture, inégale, souvent ennuyeuse, rarement percutante. Ici, quand clichés et morale bien-pensante ne sont pas allègrement assassinés, ils sont repris pour être mieux détruits. Mind the gap, pourraient dire les anglais : on trouve illustré à la perfection l’immense fossé culturel qui creuse entre les individus des abîmes d’incompréhension, propres à fourvoyer les meilleurs. Kneale parcourt le monde, de l’Angleterre à l’Afrique en passant par les Etats-Unis ou l’Amérique latine ; il rencontre des d’individus qui disjonctent dans des proportions variables, et quelques autres qui tentent simplement de survivre. Les titres qui nous guident sur ce chemin semé d’embûches sont elliptiques, à moins qu’ils ne témoignent d’un naturel tristement évanoui : « Pierre », « Poudre », « Métal », « Saveurs »… jusqu’à « Blanc », l’ultime récit.
Dans « Pierre », une famille anglaise en voyage en Chine se perd dans une province reculée et découvre les affres de l’incompréhension, la difficulté à communiquer. Quand les choses semblent s’arranger grâce à un jeune homme bien serviable se joue le drame : Chloé, la mère, découvre qu’on lui a volé ses bijoux et porte plainte. La rencontre avec la police chinoise sera inoubliable à plus d’un titre. Le « coupable » désigné, après torture, passe aux aveux. Il sera exécuté. Chloé, bien sûr, retrouve finalement ses bijoux, cachés au fond de son sac ; mais personne ne souhaitant revenir en arrière, la vie continue. La famille en ressortira plus soudée ; l’oubli a ses vertus… « Poudre » raconte l’histoire d’un juriste fatigué par son existence, les frais de sa vie londonienne, le coût des études des enfants ; un soir, en rentrant chez lui, il tombe sur un sac abandonné, rempli de poudre blanche. Il rentre avec et devient, tout naturellement, dealer dans Londres. Argent facile, fin des soucis quotidiens, l’occasion enfin de devenir quelqu’un, jusqu’à la chute. Vient ensuite (« Poids »), un américain obèse et divorcé, qui tombe en Chine sous le charme d’une jeune femme du Xin Jiang, prête à tout pour quitter le trou dans lequel elle vit. De retour à Dallas, sa beauté rattrape l’heureux mari qui s’enferre dans une jalousie maladive et l’enferme dans leur maison… « Métal », ce sera un homme pris dans des émeutes en Afrique et qui imagine, le temps de quelques heures, changer sa vie. Pour mieux être rattrapé par la triste réalité de son existence.
Dans chaque texte quelque chose se brise, et Kneale raconte bien ces petits riens qui heurtent les bonnes consciences et la bienséance, nous confrontant à la réalité d’un monde qu’on voudrait le plus loin possible de nos terres « d’abondance ». Deux questions sont posées : qu’est ce qu’un « petit crime » ? Qu’est ce qu’un « âge d’abondance » ? On touche presque à l’éthique. Trois textes peut-être se détachent, sur les douze réunis : le récit elliptique qui retrace une soirée entre amis dont l’un, soldat, doit partir en Irak, qui s’ancre dans une atmosphère tangible, un univers familier dont on sent qu’il va basculer ; la description d’une famille paysanne, quelque part en Amérique latine ; et le dernier texte, histoire d’un kamikaze qui court à la mort. Le reste ? Des textes froids, qui ressemblent parfois à une compilation de faits divers, des résumés de reportages TV, trop loin du coeur. On retient le fond, on se dit que sur une telle trame on pourrait réécrire un très bon livre. On regrette que Kneale n’ai pas été jusqu’au bout.