Il y a quelque chose d’un peu pathétique dans le spectacle d’un écrivain épuisé, vide d’idées, arrivé au bout de son rouleau mais qui, s’étant construit une image de provocateur, soutient sa réputation par tous les moyens, y compris les plus faciles et les plus bêtes. Telle est aujourd’hui la situation de Martin Amis, 66 ans depuis le 25 août (joyeux anniversaire). Incapable depuis des lustres de pondre un roman valable (il faudrait, d’ailleurs, réévaluer les premiers), il continue de faire parler de lui en polémiquant dans la presse sur les sujets à la mode et en écrivant des romans et essais sur des thèmes historiques lourds.
Après Martin Amis et le goulag stalinien (La maison des rencontres), voici donc, il fallait s’y attendre, Martin Amis et les camps nazis. Le résultat, La zone d’intérêt (le mot de code nazi pour désigner la région d’Auschwitz), est tellement nul que Gallimard en France et Carl Hanser Verlag en Allemagne l’ont refusé ; bizarrement, il semble avoir malgré tout bénéficié en Grande-Bretagne d’une presse plutôt clémente (ça n’est pas toujours le cas). Quant à la presse française, ses réflexes habituels de suivisme et de paresse n’ont pas manqué d’agir, d’où les nombreux papiers louangeurs parus depuis trois semaines sur ce navet dramatique, comme s’il y avait vraiment quelque chose d’admirable et de puissamment littéraire dans le fait de dédramatiser le génocide nazi et d’y mélanger de la farce et des galipettes.
Que Martin Amis s’empare d’un tel sujet n’a rien de problématique (un romancier fait ce qu’il veut et il a tous les droits) ; qu’il le fasse sans une once de profondeur ou de talent est plus gênant. Tout est calamiteux dans La zone d’intérêt, plus encore que dans La Maison des rencontres : les narrateurs (deux nazis et un Juif du Sonderkommando) ont une psychologie en carton, les dialogues sont confus, l’arrière-plan historique est inexistant, l’ensemble procure un ennui complet et tous les effets de style tombent à plat. (Certains confrères appellent ça « une prose d’une extrême sophistication »). On tient 100 pages puis on abandonne, dépité. Ironiquement, les seuls passages valables se trouvent tout à la fin, dans la bibliographie, intéressante et abondante. On note les titres en songeant que le pauvre Amis, s’il a vraiment lu tout ça, a franchement perdu son temps, en plus de nous faire perdre le nôtre.