« Je suis né en 1967 à la Seyne-sur-Mer, et j’y suis resté. Devant la mer. J’ai fait des études de cinéma, mais ça n’a pas trop marché. J’ai fait un peu le musicien, mais ça n’a pas trop marché. Aujourd’hui j’essaie d’écrire des histoires. On verra ». Marcus Malte vit à la Seyne sur mer, s’occupe d’un cinéma, écrit. Quand il s’agit de le rattacher à une famille littéraire, on choisit généralement celle des auteurs de polars, les plus noirs. Lui refuse toute étiquette, ne se reconnaît dans aucun genre. Ce qui le guide, ce serait plutôt une mélodie, une façon très personnelle d’agencer les mots afin qu’ils sonnent le mieux possible ; ses histoires naissent de là, sans qu’il prévoie jamais rien. Garden of love se tient ainsi au croisement des genres. Thriller, fantastique, mémoires, on ne sait pas ce qu’on tient entre les mains quand on commence, et on n’a pas de certitudes quant à la nature de ce qu’on a lu quand on termine. L’intrigue est d’une étonnante complexité. À travers elle, les personnages se meuvent tant bien que mal dans une atmosphère où la fascination le dispute à la crainte. Où est la vérité ? Où est le mensonge ? Les personnages sont-ils des fantômes ? Des fantasmes d’écrivain ? Qui sort de quel imaginaire ? On explore une folie rampante, sournoise, destructrice, qui profite de la structure du texte pour se développer. Car rien ici n’est monolithique ; étroitement imbriqués l’un à l’autre se dévoilent trois temps d’une même histoire.
Monsieur Astrid, flic usé, ravagé par la mort de sa femme et ses deux enfants qu’il a tout fait pour détruire (volontairement ou non) de leur vivant, reçoit un matin le manuscrit d’un tueur qu’il connaît bien. Un véritable Docteur Jekyll et Mister Hyde, Matthieu le jour, Ariel la nuit, à la recherche d’une femme qui lui rappellerait sa sœur, morte des années plus tôt sans qu’il puisse la sauver et qui, pour assouvir sa quête, son fantasme, s’empare de la vie de ses victimes. Les personnages sont en place, mais percer leur secret n’est pas simple. Sans cesse au bord de la folie, de l’hystérie, de la terreur, en eaux troubles, on ne bascule jamais complètement. On plonge dans l’ambigu, l’indéfini. Entre celui qui n’a pas su garder sa femme et l’a réduite au silence, celui qui a vu disparaître tour à tour sa sœur, sa mère, et s’est réfugié dans un monde fantasmé, entre cette fille élevée dans l’horreur avec un frère handicapé, le poids de la honte, et cette sœur endeuillée condamnée à accompagner les faux pas d’un homme trop fragile, incapable de se satisfaire d’un quotidien banal, les liens se tissent, étroits, singuliers, anormaux, qui poussent un psychopathe à tenter de sauver celui qu’il contribue à enfoncer, encore et encore.
Avec ces personnages usés, détruits par leur passé, qui se sentent coupables de quelque chose qui les a ravagé et parfois deviennent inhumainement insensibles, Malte nous fait entrer dans la psychose, met le pire à notre portée. Il n’est effectivement pas un auteur de genre : son écriture, au service du récit, tend ses ramifications aussi loin que possible. La construction alambiquée du texte garantit son atmosphère, permet de fouiller indéfiniment le temps, l’espace, les personnages, jusqu’à ce que la perte des repères trouve sa justification, que l’intrigue se résolve, démontrant une fois de plus que les pires enfers sont intérieurs.