Après François Weyergans et Gabriel Matzneff, c’est au tour de Marc-Edouard Nabe de ressortir vingt ans après son premier roman, Au régal des Vermines. Il lui aura quand même confectionné pour l’occasion une longue préface, « Le Vingt-septième livre », faisant le point sur deux décennies d’activité littéraire. Un constat, préliminaire à ce retour aux origines : à l’en croire, sa carrière est un désastre (n’exagérons rien), personne ne parle de ses livres (tout de même…), il est un « worst-seller » (il y a franchement pire). Suite à cet amusant hyperbolisme paranoïaque, Nabe l’éruptif s’offre une mise en parallèle de son œuvre avec celle de son ancien et si terne voisin : Michel Houellebecq. Et de démontrer, de manière parfois convaincante, la raison du succès de l’auteur des Particules élémentaires : l’époque adore qu’on la caresse dans le sens de sa médiocrité et de son impuissance crasse, et la platitude du style avec lequel on lui sert cela la rassure. On devinera aisément comment, par symétrie, Nabe explique alors son incurable insuccès et se régale, lui, à jouer au maudit génial.
Pour en revenir à ce livre premier, disons que tout Nabe est déjà là, entier, hystérique, drôle et fatiguant, pertinent et grossier, intarissable, insupportable, égocentrique et mégalomane. Il faut en convenir, un tel brûlot multi-provocateur, une telle cascade de vitriol anti-politiquement correct, au milieu des années 1980, aussi imparfait que cela puisse être, était en soi un acte louable, une brèche creusée au marteau-piqueur, sans finesse mais avec une réelle jouissance, dans le mur berlinois de la bien-pensance d’alors. Sous l’égide de Sade, de Bloy et de Céline, Nabe tentait de réhabiliter une verve indispensable, sous la forme autobiographique (forme dont il ne s’est d’ailleurs jamais vraiment départi), présentant l’anatomie détaillée de son idiosyncrasie : ses goûts (le jazz, les écrivains pré-cités, les Noirs, les femmes, l’Art) et ses dégoûts (le rock, les féministes, les pédés (sic), la culture) ; présentant aussi papa, maman et Hélène. Son projet est très exactement résumé ainsi : « Faire de son Nombril le maelström du monde ». Seul son « moi » intéresse cet écrivain, et ce « moi » a pour essentielle vocation de foutre le bordel autour de lui par provocations, légitimes ou gratuites, mais en tout cas systématiques et déversées dans une tornade verbale pamphlétaire.
Le projet porte en lui-même ses éclats et son écueil, car Nabe n’est pas tant égotique que nombriliste, justement. L’égotisme repose sur la longue maturation du « moi » et sur sa faculté à se transformer en une sonde apte à tout réverbérer du monde. Le nombrilisme de Nabe, au contraire, c’est le « moi » puéril, capricieux, partial, infect ou perclus d’idolâtrie, le » moi » qui refuse le monde, non comme les génies et les saints, mais comme les pré-ados. D’où une certaine drôlerie, un charme évident mais, d’un autre côté, un fatras de contradictions, de facilités, de n’importe quoi et de présomption. L’art de l’exécration, Nabe le maîtrise assez bien, mais il s’empêtre dans des automatismes et des énormités qui décrédibilisent l’ensemble. Et si l’on est d’abord porté par l’incroyable délire dionysiaque qui le possède, son exultation finit par tourner à vide et devenir quelque peu ennuyeuse. Nabe est un sale gosse. Il accumule, sourire aux lèvres, les bêtises au fond de la cour afin de se faire remarquer. Et on hésite toujours entre éclater de rire et lui dire qu’à présent ça suffit, qu’il en a assez fait et qu’il devrait aller se coucher.