Marc Dugain a mis une quarantaine d’années pour écrire son premier roman, La Chambre des officiers. Une première œuvre mûrement composée, comme on aimerait en voir éditer plus souvent, sans les grossiers travers des plumes maladroites et égocentriques de ces romanciers qui envahissent les présentoirs « révélations » de nos librairies. Ce récit alliait écriture élégante, histoire saisissante, vrais personnages, complexité des émotions. Un roman très réussi, couronné de prix et qui avait trouvé un large écho. Marc Dugain y rendait hommage à des êtres dont la souffrance n’avait d’égal que leur appétit de vivre. Au contraire, dans Campagne anglaise, nous assistons à un « non-choix » systématique. Les quatre personnages majeurs, Harold, Sandra, Julia et Tess, souffrent incontestablement, mais aucun ne transcende cette difficulté d’exister. L’auteur ne se sert pas de cette donnée psychologique pour doter ses personnages d’une réelle épaisseur. Ils restent des êtres de papier et l’on ne ressent aucune compassion à leur égard. Ils semblent avoir choisi de ne pas se battre et on ne peut qu’assister, non sans une certaine indifférence, aux échecs successifs qu’ils provoquent.
Pourtant, Marc Dugain nous a prouvé qu’il possédait une plume –Campagne anglaise est à cet égard de la même veine que le précédent-, et qu’il savait se glisser dans des vies et destins hors du commun avec subtilité et finesse. La noblesse affichée de Harold Delemere, la déchéance artificielle de Julia, la bohème caricaturale de Tess et la dépression sans nuance de Sandra desservent les quelques pages plus profondes du livre, notamment lorsque le héros tente d’analyser ses propres difficultés à aimer ou à renoncer. Sans doute ce même personnage, avec les mêmes contradictions, méritait-il d’être bousculé. Son amitié avec Paul semblait être la piste la plus intéressante de cette histoire ; l’auteur se contente de n’en traiter que quelques aspects et l’on ne saura jamais ce qu’elle a pu, ou aurait pu leur apporter à l’un comme à l’autre. La multiplication des rapports entre les personnages, l’entrecroisement excessif des différents destins ont affadi l’intrigue. L’auteur a peut-être voulu trop en dire, et a ainsi perdu la maîtrise de son sujet.