Schématiquement, il y a deux écoles parmi les écrivains au sujet des aspects cachés de leur activité (le livre en chantier, l’éditeur, l’argent, les critiques, etc.). La première : on n’en parle pas, ça ne regarde personne, c’est impudique, seul doit apparaître le résultat, un livre fini. Deuxième école : on peut en parler, ce sont des choses qui existent et, puisque les écrivains en activité y sont tous confrontés, il est intéressant de se pencher sur la question.
Partisan de cette deuxième école, Martin Page dévoile les coulisses de sa vie d’écrivain professionnel dans ce petit livre rouge qui se présente sous forme de lettres à une correspondante (imaginaire ? réelle ?). Tout y passe, sur un ton modeste, simple et un peu mélancolique, comme dans un grand exercice de franchise qui ne manque pas d’un certain panache. Se décourage-t-on souvent quand on écrit un roman ? Que fait-on quand ça ne vient pas ? Faut-il accepter les demandes d’interview ? Comment choisit-on un éditeur ? Peut-on ne pas mourir d’énervement en voyant telle ou telle nullité vendre des romans par brouettes ? Est-il vrai qu’il est impossible de vivre de sa plume ? Un romancier peut-il payer ses factures ? Comment gère-t-on son temps, quand on en est maître ? Est-il moral d’accepter les bourses d’écriture financées par des deniers publics ? N’est-il pas ridicule d’avouer qu’on est écrivain ?
Page affronte ces questions et bien d’autres, dans un mélange d’autoportrait souriant, de manifeste optimiste (« L’effort est conciliable avec le jeu, la joie et le plaisir ») et, pour employer un grand mot, d’essai sur la littérature (grand mot parce que le livre, tout de simplicité, ne prétend pas à ça, du moins pas ouvertement). « La littérature souffre de deux choses, dit Page : d’un trop grand respect pour l’histoire littéraire, et d’un manque de travail et d’ambition ». On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout, mais il présente les choses de telle sorte qu’il est agréable de les lire sous sa plume. Quelques lignes plus loin, on trouve ceci : « La facilité avec laquelle certains publient des livres bâclés ne doit pas nous conduire à oublier d’aimer notre art ». Optimiste, vraiment.