Prix Akutagawa (le plus prestigieux prix japonais) lors de sa sortie il y a quatre ans, Charivari n’est pas le premier roman de Ko traduit en France : on l’avait découvert, il y a un an, avec le stupéfiant Tribulations avec mon singe, court récit retraçant le parcours d’un scénariste raté et décrivant sa vision d’un univers fantasmagorique au rythme d’une écriture hachée, remarquablement incisive. Même recette ou presque pour Charivari : si l’atmosphère, l’enchaînement du récit, l’inventivité sont semblables à ceux de Tribulations, le fil narratif est cependant tout à fait différent, même si Ko prend pour héros, là encore, un loser odieux, imbu de sa personne et insensible au reste du monde. Véritable tourbillon électrique, Charivari bouscule les mots et les codes et casse le rythme du récit pour s’enfoncer dans une ville japonaise bouleversée. Désabusé, envieux et paumé, le héros, incapable de prendre sa vie en main, raconte en vrac tout ce qu’il voit, tout ce qu’il croise, tout ce qu’il vit, au fur et à mesure de ses flâneries sans but. Tout le récit se déroule à un rythme halluciné et hallucinant ; passé, présent et avenir s’entremêlent, les gens se bousculent sans se reconnaître, les visages sont interchangeables et se brouillent.
Le héros s’enfonce dans un univers parallèle, perd tout sens du réel, ne parvient plus à distinguer clairement ce qu’il fait ni ce qu’il doit faire. Il passe son temps à fuir la maison délabrée dans laquelle il vit avec une épouse quasi inconnue (il ne sait même plus pourquoi il s’est marié avec elle), part se réfugier chez sa mère, y est accueilli comme un véritable paria. Et quand plus personne ne semble disposé à le recevoir, il se met à écumer les soirées branchées, soirées dont il ne garde d’ailleurs aucun souvenir. Tout cela en essayant vainement de rassembler des bribes de souvenirs et de revenir sur son passé, à une époque où, croit-il, il maîtrisait encore un peu les évènements. Ko raconte la vie d’un enfant gâté mais laissé à lui-même, qui se perd parce qu’il ne peut rien construire, la vie d’un zombie hagard et déjanté chez qui les sursauts de lucidité sont les prémices à un vrai cri, de rage ou de douleur. Son récit prend ses marques à la marge vivante d’une incompréhension croissante, qui ne trouve plus d’adéquation entre les électrons libres qu’elle lâche à l’aventure et la structure de plus en plus bancale du monde et de la société, et qui finalement n’a plus d’autre proposition à faire que celle d’un ultime disjonctage. Fatal ?