Pour son premier roman, l’Américaine Amanda Coplin réussit un joli coup. L’homme du verger, à la facture ultra classique, descriptif à l’extrême, repose à la fois sur l’exploration de l’intime et sur la volonté de voir au-delà. Sa force réside dans les portraits, l’investigation du sentiment, et sur ce que Coplin réinvente de la famille, du lien, sa force et sa rupture.
Elle puise son inspiration directement chez elle. Talmadge ressemble à l’homme qui lui a tenu lieu de grand-père, son verger perdu du côté de Wenatchee, la « vallée des pommes », Etat de Washington. Un lieu, un homme, jardinier vieillissant, absorbé par ses arbres, élevé par une mère en quête de silence, transformé en adulte par la disparition d’une sœur. « Il avait un de ces visages compliqués qu’il fallait contempler à loisir pour comprendre comment l’émotion s’y manifestait, pour le comprendre, tout simplement. C’était un paysage : une étendue vaste et complexe, à couches multiples ».
Un jour, deux gamines enceintes surgissent au milieu du domaine, lui offrant comme la possibilité d’un renouveau. Lentement, il apprivoise les deux sœurs, sans pouvoir empêcher leur histoire, sordide à souhait, de les rattraper. Les jumeaux de Della sont mort-nés, Jane se suicide, laissant derrière elle une fillette. Pour encadrer ce drame, Amanda Coplin dresse un miracle d’harmonie: le verger, ses rituels, sa lumière, son calme, son immuabilité. Elle calque Talmadge sur ce modèle, que suivra également l’orpheline Angelene, et leur oppose Della, fille perdue, incapable d’oublier, de pardonner, contrainte à une éternelle fuite en avant.
Dès qu’elle s’éloigne du verger, Coplin perd en sensations, en retenue, et compense par des rebondissements narratifs pas forcément indispensables. C’est dans le contemplatif qu’elle ancre son texte, dans la présence donnée à ses personnages, y compris secondaires. La seconde partie du roman paraît moins maîtrisée, même si elle pose un sens de la fatalité, du destin, nécessaire à la cohésion de l’ensemble. La figure d’Angelene, heureusement, rattrape les errances de Della. Elle est la clef du récit, la seule qui comprend la leçon qu’offre le verger. « Ces heures passées seule dans le silence et la lumière resplendissante du verger, parmi les plantes à moitié enterrées et les racines encore enveloppées dans du papier journal humide, Angelene à genoux, creusant le sol. Elle aurait offert à Della ces heures où le temps était clément, elle lui aurait offert les odeurs de terre, de soleil et de pin, la liberté qu’on ressent en sachant qu’on est le seul être humain à des kilometres à la ronde, la liberté de chanter, de parler tout haut, de rire, et, bien sûr, si le besoin s’en faisait sentir – mais c’était rare – la liberté de pleurer ». L’orpheline comme un cadeau, le dernier arbre de Talmadge : « Elle ressemblait tellement au verger. Elle représentait le rêve de cet endroit qui lui avait donné naissance, et elle ne le savait même pas ».
Tout en s’appuyant sur des choses simples, Amanda Coplin propose, au-delà du lyrisme presque fantastique qu’elle utilise pour dire la nature, un texte complexe, dense foisonnant. Elle ouvre son microcosme à une lecture du Grand Ouest sur un moment de bascule, quand le monde vierge s’ouvre. Le train arrive jusqu’à Seattle. On exporte les fruits, toujours plus loin. Talmadge, au-delà du récit, porte une époque révolue. Parvenir à la saisir avec une telle acuité demande un réel talent.
Traduit de l’anglais par Laurence Kiefé.
Une lecture « coup de coeur » pour moi également. Vivement son prochain roman !