Passons rapidement sur le style des deux auteurs (« l’expérience de la vie ne servait pas à transformer les rêves en nostalgie et à réduire les ambitions comme le beurre dans une poêle… ») qui augure mal de la justesse de leur pensée. Avec un brin de lucidité, ils préviennent d’ailleurs assez rapidement le lecteur (« Nous ne sommes pas des penseurs »), lequel ne pourra pas, malgré toute sa bonté, prendre cette déclaration pour de la fausse modestie. Les quinze pages de la préface accumulent ce que l’on peut imaginer de plus désolant en matière d’idéologie light et moderno-branchée. Tous les clichés y passent, de l’Internet qui résout la solitude dont souffrent les hommes et permet aux pauvres d’un village d’Afrique d’avoir « le monde au bout des doigts », jusqu’à Millenarium.org (le site qu’ils ont créé pour que « la jeunesse du monde entier » puisse interroger « les sept hommes qui, aujourd’hui, ont le pouvoir d’influer sur l’avenir de l’humanité : les chefs d’Etat et de gouvernement du G7 ») ; ce « Millenarium.org » qu’ils évoquent avec des accents de prophètes new-age : « première expérience de démocratie directe mondiale », sans « revendications structurées », sans « leaders », constitué ni « en associations, ni en syndicats, en lobbies », « ni de droite ni de gauche, ni du nord ni du sud » ; ce « Millenarium.org » qui leur permet d’assister « en direct, fascinés, à la naissance et à l’expression de la conscience globale des hommes de la planète Terre ».

Accordons-leur de dire le vrai quelques instants et goûtons les condensés de la « conscience globale » que sont les questions formulées et posées par les deux auteurs : « Pensez-vous que dans l’avenir nous serons capables de choisir entre une vie dans le monde physique et une vie dans le monde virtuel ? » ; « Si aujourd’hui vous étiez le chef d’Etat d’un des sept pays les plus pauvres de la planète, que proposeriez-vous pour faire de ce pays une start-up du 3e millénaire ? » ; « L’homme est parvenu à éradiquer des maladies mortelles comme la variole. Comment se fait-il que l’on ne parvienne pas à éradiquer le pire des maux, l’illetrisme ? » ; « La foi en Dieu est-elle un danger pour l’humanité ? » ; « Un astéroïde menace de détruire l’humanité. Que faites-vous ? », etc. Sans commentaire.

Passons donc aux réponses, qui ont du mal à décoller des ornières boueuses des interrogations, et avouons le paradoxal sourire qui apparaît au fur et à mesure que l’on découvre l’uniformité et la banalité des propos. De Jacques Chirac à Gerhard Schröder en passant par Bill Clinton, les mêmes clichés et les mêmes idées reçues parcourent le livre, construisant peu à peu l’image d’une autre « conscience globale », à la langue de bois et à la pensée démagogique : celle d’une « créature politique » munie de six corps (nous excluons Massimo d’Alema, le seul à proposer quelques intéressantes réflexions) et d’une seule tête. Laquelle tient un discours où « la mondialisation n’est pas un choix : c’est une réalité », où « l’esprit d’entreprise fait partie intégrante de l’esprit humain », où progrès politique = prospérité économique = progrès technologique, où les travailleurs licenciés, comme les déchets, peuvent retrouver du travail s’ils sont « prêts à se recycler », où le but est « de rassembler des milliards de personnes en une immense classe moyenne mondiale » où tous pourront avoir « une retraite digne après une vie entière de dur labeur ».

Au Guignol du G7, si l' »Ane d’or » est remporté haut la main par Bill Clinton, responsable des deux dernières citations, on gardera néanmoins un « Prix spécial du sérieux » pour Jacques Chirac, qui est parvenu à ne pas rire à la question débutant par : « Votre parcours personnel est un message d’espoir pour bon nombre de personnes et démontre que beaucoup de choses sont possibles. »