Au-delà de la quête d’un manuscrit mythique, d’un texte caché entre les pages d’un carnet jaune qui aurait changé la face de l’Art et la culture au XXe siècle et dont seul le titre, Le Soleil, serait connu de rares initiés, Jean-Hubert Gailliot offre avec Le Soleil un texte virtuose, une Odyssée, une expérience, un livre-monde sur les rivages de Méditerranée. Tout commence à Agios Ioannis, un village sur l’île de Mykonos. En guise d’introduction, Gailliot décrit une petite pièce nue, des ombres nettes, le ballet erratique d’une guêpe sur une tartine couverte de marmelade d’orange. La suite du texte sera à l’avenant : odeurs, textures, couleurs, bruits, le patron des éditions Tristram a écrit un roman qui se goûte, qui s’écoute et se respire autant qu’il se lit. Et de rassembler ainsi un écheveau de sensations autour de cette énigme du texte disparu, objet de toutes les convoitises, « un talisman, responsable du génie de ceux qui un temps, l’avaient possédé, objet fuyant, allant de main en main comme par sa propre volonté ».
Au fil des pages, le romancier convoque les images surréalistes de Man Ray, la poésie d’Ezra Pound ; on voit émerger du texte les envahissantes fleurs enchevêtrées de Cy Twombly. Plus loin encore, il revient aux mythes, aux origines, l’île de Délos, Léto, Artémis, Apollon, la lumière des îles grecques, la poésie, la mer, les ruines. Le Soleil se lit au fond comme une promenade d’île en île – de Mykonos, on passera à la Sicile, puis à Formentera –, mais également comme une renaissance. Alexandre Varlop, l’homme qui regarde la guêpe fondre sur la marmelade d’orange, pénètre dans le récit comme un homme brisé, se considérant lui-même comme une âme errante, doutant presque de sa propre existence. Mandaté par une amie éditrice pour enquêter sur ce fameux Soleil, il travaille en dilettante, alternant lectures, baignades et promenades. Et se prenant au jeu, peu à peu, pour revenir à la vie sans même s’en rendre compte : il tombe amoureux, retrouve son ombre qu’il croyait disparue, se fait piéger, reprend forme, corps et consistance.
Son histoire forme la colonne vertébrale du roman, d’une île à l’autre, de la splendeur immuable de Délos avec ses dieux au maelstrom orgiaque du cabaret palermitain. Au milieu du livre, on trouve un cahier de pages roses (comme dans les dictionnaires Larousse), telles une explosion, profitant de la décrépitude de la ville, au calme retrouvé de la saison morte sur Formentera. L’énigme résolue, si tant est qu’elle puisse l’être, le mystère du Soleil livré, il reste surtout ce sentiment d’abandon, ces repères perdus puis retrouvés, cette rêverie éveillée, cette illusion travaillée, les frontières brouillées entre réel et imaginaire. Vertigineux.
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