Qu’est-ce qu’une anthologie ? Etymologiquement, une « collection de fleurs ». Ce sont là mots fort à propos pour des poètes. Ceux d’aujourd’hui sont québécois. Ils ont le verbe clair. Ils chantent la neige, le cochon qu’on égorge, le Niagara… Mais aussi, superbement, les « Châteaux en Espagne », les « petite filles hallucinées, créatrices de fièvre », ou encore cette baigneuse de Saint-Denys Garneau : « Ah le matin dans mes yeux sur la mer / Une claire baigneuse a ramassé sur elle / toute la lumière du paysage ». Une anthologie n’est pas obligée d’être exhaustive. Elle n’a pas besoin non plus d’être sévère. Une anthologie de poésie, encore moins peut-être. Cette Poésie québécoise n’est pas autre chose que l’anthologia grecque : sorte d’herbier hétéroclite, exotique parfois, et toujours charmant.
On rassurera le lecteur qui ne lit déjà pas de poésie française, et n’ira donc pas lire (par paresse, par ignorance) chez les voisins francophones : théories et courants, tendances, modes, toutes choses absolument ennuyeuses, sont les mêmes ici et là-bas. Chacun se raccrochera donc à ses vieux archétypes. Les trajectoires (modestes, voire maudites) des poètes du Québec suivent des chemins auxquels la poésie française nous a déjà initiés. Fables et comptines, patriotisme et soleils couchants, les « rougeurs, soupirs et grandes orgues » du siècle romantique, et l’irruption chaotique de la prose, du surréalisme, et des luttes sociales… Tout y est. Même les lesbiennes, même le féminisme, et aussi Gilles Vigneault.
Laurent Mailhot et Pierre Nepveu ont le très grand mérite d’avoir voulu, et certainement réussi (bien qu’il soit difficile d’en juger objectivement) un recueil authentiquement québécois. L’une des réussites de cette anthologie, outre la curiosité qu’elle suscite et les délicieuses surprises qu’on y trouve, est de ne point faire constante référence à la France, ni de susciter de comparaisons stériles. On est là au Québec. On se perd dans les auteurs et les influences, on dérape sur les dates, qu’importe ! Il est bien des auteurs de la Belle Province dont on devient familier.
Confessons ici, encore et toujours, notre ignorance de toute cette littérature de langue française. Il est une écriture d’Amérique qui nous échappe à peu près complètement, que nous ne voulons pas, pour des raisons obscures, écouter, et qui pourtant recèle de grandes et belles choses. Du feuilletage patient, attentif ou distrait de la présente anthologie, on ressortira donc un peu moins ignorant. Et un peu plus affolé par l’inattendue diversité des littératures de langue française.