Adelle Waldman, 37 ans, a fait un tabac avec ce premier roman lancé par un tweet élogieux de Jay McInerney, puis salué par des auteurs comme Jonathan Franzen et Gary Shteyngart. La presse leur a emboîté le pas, à la fois parce que le roman est brillant et, aussi, parce que le petit monde que décrit Waldman est précisément celui des magazines et de l’édition, celui des intellos new-yorkais progressistes qui écrivent, critiquent et enseignent, dans un périmètre minuscule où se concentre le pouvoir intellectuel.
Comme le laisse entendre le titre, La vie amoureuse de Nathaniel P. est une comédie sentimentale, qui raconte les déboires d’une étoile montante de la scène littéraire new-yorkaise, Nate Piven. Nate n’a encore rien publié mais il vient de toucher une avance pour son futur ouvrage ; après des années de vaches maigres dans le journalisme free-lance, il gagne désormais sa vie comme critique dans un journal en ligne, ce qui lui permet de payer le loyer de son appartement à Brooklyn. Sa vie sociale est débordante : vernissages, lectures, librairies, dîners. Il multiplie les liaisons avec des jeunes filles qui lui ressemblent, critiques, éditrices, romancières : Kristen, Juliet, Elisa… Et Hannah, avec qui pour une fois son histoire est sérieuse.
Adelle Waldman raconte ce ballet amoureux avec une pointe d’humour à la Woody Allen et égratigne joyeusement ses personnages, sans rien passer de leurs contradictions, de leurs lâcheté et de leur désinvolture, en particulier Nate, archétype du jeune libéral égoïste, misogyne et infantile. « Dans l’abstrait, écrit-elle, Nate se dévouait à l’humanité – aux droits de l’homme, à l’égalité des chances, à l’élimination de la pauvreté. Il était, en théorie, compréhensif à l’égard des limites des autres. Mais lorsqu’il réglait le microscope pour grossir l’image, les êtres humains prenaient un aspect de plus en plus déplaisant. Ils paraissaient cupides, crasseux, hypocrites, vains ». Bien au chaud dans sa bulle de Brooklyn, avec ses tracas minuscules d’intellectuel bohème, Nate rapporte tout à lui : « Il ne parvenait pas à admettre que ses problèmes étaient ceux d’un New-Yorkais décadent, dit-elle, qui passait son temps à se complaire dans son drame personnel ».
Pourtant, malgré cette ironie ostentatoire, on ne peut s’empêcher de trouver chez Adelle Waldman une forme de complaisance pour son personnage et son milieu ; derrière sa critique narquoise de l’aristocratie progressiste se cache une incapacité à parler d’autre chose qui relève de la fascination. C’est le paradoxe de ce petit roman habile et piquant, souvent drôle mais aussi nombriliste, superficiel et étouffant, comme si la romancière avait voulu écrire un marivaudage entre gens favorisés tout en n’ayant pas l’air dupe. Manière de jouer sur deux tableaux qui ne convainc pas vraiment.