Il n’est désormais plus à prouver que le roman noir n’est plus – l’a-t-il d’ailleurs été un jour ? – une littérature de gare. Nombreux sont les écrivains qui ont prouvé qu’il est un genre littéraire à part entière et qu’il a acquis ses lettres de noblesse grâce à des auteurs comme Albert Simonin et James Ellroy. A l’heure actuelle, a-t-il plus de choses à apporter que la littérature blanche ? Cela serait aller trop loin, mais il est frappant de constater que cette dernière le plagie de plus en plus, en ajoutant à ses propres ingrédients de la violence et du sexe, et ce d’une manière qui n’est pas toujours très heureuse. Une chose est sûre, le roman noir s’accorde très bien avec notre époque. Cela, les Editions Actes Sud l’ont bien compris en lançant une collection noire dans leur format de poche, Babel. Babel noir ne possède pas de manifeste, mais les six titres édités jusqu’à maintenant peuvent se reconnaître dans ce propos de Jean-François Vilar mis en exergue : « Le roman noir, parce que c’est la crise, se joue dans un état d’urgence. » Les auteurs de Babel noir sont très différents les uns des autres par leurs influences et leurs styles, mais tous mettent en scène une fuite. Ils animent tous des personnages lancés dans une course désespérée afin d’échapper à une société étouffante. Nous sommes ici bien loin du polar traditionnel. C’est dans ces dérives, ces suicides, ces destructions méthodiques de vies jusque là bien rangées et bien sages que l’on ressent la résonance véritable de ces romans. Cette résonance est tragique, un tragique que l’on peut éprouver en permanence autour de soi, en prenant le métro, en regardant la télévision… Le drame ne vient pas du conflit entre plusieurs personnages, mais apparaît sournoisement. Il se glisse entre les lignes, en donnant l’impression que les personnages vont mourir simplement parce qu’ils ne peuvent plus supporter le monde qui les entoure. L’individu se heurtant aux objets qui devraient le rendre heureux – tel Paul tuant et se tuant au volant dans le roman de Dagory -, voilà bien où se trouve le drame moderne.
Ainsi, les romans de Babel noir n’appartiennent pas véritablement à une école bien déterminée, et ainsi, en profitent pour éclater leurs propres formes narratives. Il semble que nous ayons affaire à une série de naufrages où sombrent les destinées individuelles. Babel noir est à l’image d’un monde sans repère. C’est cela qui fait son charme.
Nicolas Vey
Titres parus :
Dagory, Maison qui pleure
Jean-François Vilar, C’est toujours les autres qui meurent
Joseph Perigot, Le dernier des grands romantiques
Frédéric H. Fajardie, Gentil, Faty !
Jean-Pierre Bastid, La tendresse du loup
Michèle Lesbre, Une simple chute