Pour qui serait passé à côté, Kerry Hudson, c’était le jubilatoire Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman, plongée aux forts relents autobiographiques dans la vie de Janie Ryan, entre services sociaux, appartements miteux et fuite en avant vers un ailleurs forcément meilleur. La couleur de l’eau, son second roman, a obtenu cet automne le Femina étranger. Il le mérite. Parce que Hudson a cette incroyable manière de rendre ses textes plus vivants que nature. Des récits simples en apparence, qui creusent profond côté sentiments, sans pour autant verser dans un quelconque sentimentalisme. Sa narration est directe, sans fioritures. D’autant plus percutante qu’elle est humble. Ce qui permet à ses personnages d’habiter leurs histoires.
Dans La couleur de l’eau, l’Ecossaise débarque dans le Londres des beaux quartiers, le temps d’une rencontre entre deux solitudes, et écrit un roman d’amour. Mais pas n’importe quel roman d’amour. Alena arrive de Sibérie. On est allé la chercher là-bas en lui promettant une vie plus facile, de l’argent, un destin. Elle est partie sans remords, pleine d’espoir, pour se retrouver, oh surprise, sans papier, aux mains d’un proxénète. Dave, lui, a renoncé à ses rêves de tour du monde, à ses entraînements quotidiens, pour devenir vigile sur Bond Street ; il rentre tous les soirs dans son appartement miteux de Hackney. Un jour, elle vole une paire de chaussures ; il l’arrête, la fouille, la relâche, la retrouve.
Au-delà de la rencontre, l’histoire. Le portrait d’Alena est convaincant ; on assiste à sa transformation en appât pour survivre, à la montée de la peur, avant que le temps s’arrête, en lui permettant d’ouvrir les yeux sur un autre Londres, loin de ses rêves de gamine mais plus familier, un Londres approchable. Idem pour Dave, plus torturé qu’il n’y paraît, victime d’une de ces histoires familiales dont les villes regorgent. La rencontre entre ces deux personnages les force au respect, à l’écoute, à la patience, à l’attention. Dave assouvira d’une certaine manière son envie d’ailleurs quand Alena trouvera une paix relative. Kerry Hudson écrit un roman d’amour qui finit bien.
Au-delà de l’histoire, il y a le ton de Kerry Hudson. Sa justesse quand elle plonge dans les rues de Hackney, mélange les odeurs, les saveurs et les bruits, photographie la rue. Un talent qu’elle utilise aussi quand elle raconte les trains russes et les interminables trajets ; les villes sibériennes perdues dans le froid. C’est le détail qui fait le réel. Et puis la perspective. Ces histoires de misères ordinaires. Alena et Dave. Leurs mères. Leurs amis d’enfance. Leurs voisins. Ceux que la pauvreté écrase, ceux qui se battent. Ceux qui rêvent encore, ceux qui abandonnent. La couleur de l’eau, c’est l’histoire d’une attente, d’un espoir, d’une avancée vers ailleurs. C’est une constante chez Kerry Hudson. A force d’avancer, il est probable qu’on trouve mieux ailleurs.
Traduit de l’anglais par Florence Levy-Paolini.