Neuf années se sont écoulées depuis la publication du premier roman de l’australienne Julia Leigh, lequel lui avait permis d’entrer dans le classement de l’Observer des « 21 auteurs pour le XXIe siècle ». Neuf années et quelques mois de travail avec Tony Morrison dans le cadre d’un mentorat, donc, pour en arriver à cet Ailleurs, second et très bref roman, à peine une centaine de pages – mais qui suffisent à confirmer ce que Le Chasseur laissait deviner.
L’histoire est simple, qui tient en quelques mots. Olivia, « la femme », rentre d’Australie en France avec ses deux enfants, « le garçon » et « la fille », après plusieurs années d’un mariage malheureux. Dans le château familial, où nul ne semble les attendre, elle retrouve sa mère, sa gouvernante et un trio singulier : son frère, sa belle-sœur et leur enfant mort né. Une fois les figurants en place, dans ce décor clos et discrètement anachronique, Leigh entame son récit. On pourrait le décrire comme une histoire de famille qui solde ses comptes et exhume ses secrets ; on pourrait y voir l’histoire d’un retour à l’enfance, aux souvenirs, à la vie ; on pourrait raconter certaines scènes, un bébé dans un congélateur, un gamin au milieu d’un lac, un téléphone qui sonne dans le vide, une petite fille aux commentaires hors de propos. Tout ceci pour retenir, finalement et contrairement aux apparences, qu’il ne se passe pas grand-chose ici : l’essentiel est plutôt dans l’attente, dans l’expectative, alors même que la distanciation imposée par Leigh autorise tous les possibles.
L’atmosphère du roman, tout comme l’économie extrême de mots, ne sont pas sans rappeler Pluie de Kirsty Gunn – mêmes silences, même radicalité des non-dits. L’épure quasi parfaite de Leigh, dans laquelle seules certaines références à la Nature, indéniablement, sont superflues, donne au lecteur toute liberté pour s’interroger, ce sans que les réponses (rarement obtenues) soient finalement nécessaires, tant ce qui compte ici tient dans la forme, le style, l’écriture, qui se suffit à elle-même. C’est ce qui permet à la romancière d’emmener son récit où elle veut, à son rythme, comme sur une corde ultra-tendue. Avec une simplicité d’autant plus précieuse qu’elle est rare, Leigh pose des émotions là où l’histoire se fait prétexte. Comme si l’attente, ici, était plus importante que l’agir.