A raison de quatre parutions par an (statistique faite sur l’année écoulée), sans compter les livres pour enfants et les thrillers sous pseudo (Rosamond Smith et Lauren Kelly), c’est peu de dire que Joyce Carol Oates est prolixe. C’est son grand talent : écrire au kilomètre des textes qui tiennent sur une intrigue souvent impeccable, portés par un sens de la narration étonnant. Une telle abondance pourrait tuer le désir de la lire, mais ce n’est pas le cas : s’il y a des romans que l’on sent écrits pour tuer le temps, l’idée de tomber sur une pépite pousse à vérifier chaque parution.
Les Femelles, un recueil de nouvelles, est un bon cru. On y retrouve les obsessions de l’auteur de Blonde (et plus récemment du génial Eux), ces pauvres filles qui suent en vain pour se sortir de leurs vies glauques, qu’elles continuent de rêver glamour. Des femmes que l’enfermement auquel les ont soumis les hommes a rendues monstrueuses, dévorantes, à l’image de Lucretia, personnage central de la première nouvelle, piétinée encore et encore par celui qu’elle avait pris pour son sauveur. Ou à celle d’une fillette grimée à l’air enfantin et aux talons hauts, qui roule aux côtés de son père, d’un État à un autre, vers des motels où des hommes l’attendent : des hommes qui ont payé (pas encore tout à fait assez, à son goût) pour la version « Ne Pas Toucher ».
Le rythme de Mère disparue est plus lent, au-delà des longueurs imposées par la forme romanesque. Quelques jours après avoir célébré la fête des mères avec tout le quartier, celle de Nikki est retrouvée assassinée. Les deux filles (Nikki, donc, trentenaire dévergondée dont la relation avec un homme marié fait jaser les environs, et Clare, mère de famille un chouia poussiéreuse), doivent, pour vendre la maison (leur père est mort des années avant), la vider rapidement. De quoi réveiller ce qui lie et éloigne les deux sœurs ; et, carton après carton, lever les sombres secrets de cette mère idéale. Plusieurs centaines de pages, à vrai dire, où l’on se demande quand la roue va (mal) tourner, quand l’atroce révélation va enfin figer notre sang. En vain : le séisme a déjà eu lieu. Malgré ses longueurs, le roman reste d’une finesse et d’une acuité remarquables. Les Femelles et Mère disparue : deux livres presque antinomiques qui, à l’exception de quelques nouvelles des Femelles, ne comptent pas parmi les meilleurs textes de Oates, mais témoignent une fois encore de son immense talent graphomaniaque.