Enfin un très bon roman. Et comme par hasard il est encore anglais, du moins, irlandais. Comme si, de toute façon, les bons romans ne pouvaient venir que d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. Comme si c’était seulement « de l’autre côté » qu’on savait qu’il y a parfois mieux à faire que de se focaliser sur son propre pays, ses propres errances, comme si c’était seulement de « l’autre côté » qu’on savait faire voyager son lecteur, et encore mieux, l’envoyer valdinguer dans des contrées encore mal explorées. Desperados nous emmène donc non pas entre la rue des Saints-Pères et le Café de Flore (ou encore leurs équivalents anglais) mais au Nicaragua des années 80 en pleine guerre civile, celle qui oppose les ex-guérilleros sandinistes arrivés au pouvoir aux « contras », fidèles de l’ex-dictateur et armés par la CIA. Frank, chauffeur de taxi irlandais, arrive à Managua pour reconnaître le corps de son fils Johnny, parti au Nicaragua œuvrer pour la révolution dans les plantations de café. Son ex-femme, Eleanor, le rejoint. Le corps mutilé qu’on leur présente n’est pas celui de leur fils… Ils décident alors de partir à sa recherche, en se joignant à la tournée d’un groupe de rock cosmopolite, les Desperados de Amor, où leur fils officiait comme chanteur.
Ce que le lecteur découvre par la vitre avant de Claudette, le van bringuebalant des Desperados, est bien sûr séduisant, mais au-delà de l’exotisme offert par une république bananière en plein chaos, on se délecte surtout des « rencontres » majeures provoquées par ce roman fin et intelligent. Rencontre de deux Irlandais très middle class et de quatre rockers aussi déjantés que sympathiques : Smokes, le batteur, loser au grand cœur et aux cheveux longs, et sa compagne Cherry « ange tombé des cieux du sexe », Guapo, le beau gosse caractériel, bassiste déchaîné et dragueur impénitent et Lorenzo, le métis aveugle imprégné de références bibliques, qui a vendu son âme au diable contre le don de la guitare électrique. Rencontre de deux cultures aussi, celle d’un Nicaragua embringué dans la collectivisation mais plus que jamais dévot et superstitieux et celle d’une Irlande traditionnelle, bourrée de préjugés mais au grand cœur. L’auteur a d’ailleurs eu l’idée judicieuse de construire son roman en insérant à l’épopée nicaraguayenne des chapitres irlandais. La plongée est alors double : fuite en avant pour retrouver Johnny, et anamnèse émouvante vers son enfance perturbée. De kilomètres avalés en palaces désaffectés, de procédures administratives dignes de Tintin chez les Picaros, en cocktails explosifs à base de rhum et reprises des Clash sur fond de bombardements, on danse de joie du début à la fin, sous la lumière éblouissante des balles traçantes. Ce road novel redonnerait envie de lire à n’importe qui. Il dynamite les frontières, manipule avec virtuosité les changements de rythme, il est profond et lumineux. Bref, il emballe de tous les côtés. Un, dos, tres, cuatro, vamos a bailar !