C’est avec un art de l’économie et de la retenue de facture classique que Joseph Joubert, longtemps oublié des anthologies de littérature (et tout simplement des librairies, faute d’édition de ses œuvres), s’adressa à lui-même. Cette manière de converser -en soliloque-, brillante de surcroît, en vaut bien d’autres. « Tourmenté par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot. C’est moi » : voilà comment s’exprimait ce doux moraliste prêt à délier les sentiments les plus enchevêtrés. Ne condamnant presque rien ni personne, il se contente d’ordonner, de remettre à leur place des passions, des vertus à qui l’on avait attribuer un trop grand ou au contraire trop peu de crédit. Il ne faut voir dans ce comportement aucune tiédeur excessive, mais plutôt le souci de tout mesurer, de polir tout ce qui pourrait jaillir sous le coup de l’emportement. Très tôt, Joubert aima la sagesse (le fait d’avoir vu les déchirements de la Révolution n’y est pas étranger), les bons sentiments (n’écrivait-il pas à la fin de son carnet ces mots : « le vrai – le beau = le juste – le saint »), tout en éprouvant le besoin de l’ordre et de la religion. Il se moqua de lui-même, évita de tomber dans l’illusion, suivant sa libre inspiration, mêlée à tous les vents, sans se soucier de sa postérité.
Son nom revient fréquemment dans les Mémoires d’outre-tombe. « C’était un égoïste qui ne s’occupait que des autres ». On a lu jugement plus hâtif sous la plume de Chateaubriand. Reste avec ses Pensées un livre de sagesse au style remarquable et dont on ne finit pas de se délecter.
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