Votre grand-mère est impossible. Elle vous tient le crachoir pendant des heures, vous prépare des gâteaux que vous détestez, sert un chocolat infect et vit dans un taudis… Alors ce livre est pour vous. Mais attention: ce n’est pas avec des entrejambes humides de désir que l’auteur de ce petit roman très léger appâte son lecteur. Pas de jolies mômes de 20 ans, comme dans le roman de Stephen Dixon, engrossées à force d’assauts brutaux et gluants. Rien de tout cela. Les héroïnes de ce roman sont ménopausées depuis des lustres : Clémence et Constance ont une soixantaine d’années. Ces deux sœurs vivent seules dans un appartement très éclairé situé au centre d’une petite ville d’Espagne. Leur avantage par rapport à votre grand-mère, c’est que leur chocolat chaud est délicieux, qu’elles achètent leurs petits gâteaux chez les meilleurs pâtissiers de la ville et que leur conversation, fleurie de latin et d’argot, est passionnante.
Maintenant, comment les incorporer dans un roman ? C’est la question que nous aurions aimé poser à l’auteur. Car en dehors des longues dégustations de chocolat chaud ou de thé fumé, des dîners fins aux asperges et cresson et des provocations de ces deux vieilles dames, il ne se passe rien. La jeune fille qu’elles hébergent est étudiante et se voit mouillée dans un trafic de drogue. Le problème, c’est qu’un trafic de drogue dans une petite ville d’Espagne s’apparente davantage à l’échange d’images Panini entre gamins qu’à la French Connection. Et pour cause : il s’agit de cannabis. L’ampleur romanesque est donc assez modeste. Un policier enquête, mais celui-ci est un ami des deux vieilles dames qui, bien décidées à protéger leur jeune étudiante, l’abrutissent de conversations piquantes et de gâteaux secs, avant d’aller gagner une voiture dans un jeu télévisé. Voilà pour l’intrigue.
Alors on se dit : l’intérêt est ailleurs. Sous le couvert de ces deux vieilles dames qui se disent « augustiniennes, démocrates, républicaines, anarchistes et réactionnaires » (le leitmotiv du roman), faut-il voir la critique d’un monde moderne surpolicé qui ne prend plus le temps de vivre et de prendre du plaisir, plaisir précisément emblématisé par les deux vieilles dames ? Peut-être. Le titre, Le Monde est une fable, serait là pour le confirmer, posé comme un avis à se gausser de tout. Pourquoi pas ? Reste alors un petit roman inoffensif mais plaisant, riche en bons mots et en définitions que le lecteur pourra fort bien mettre à profit. « Nous sommes réactionnaires pour deux raisons, commissaire. Parce que le monde moderne est imbécile et liberticide, et parce que nous réagissons. » Bref, une façon comme une autre de prendre le thé en bonne compagnie.