« Plus annoncé que Franzen, il y a eu le Christ, et encore… » Voici, sous le clavier de Nelly Kaprièlian des Inrockuptibles, comment est présenté l’auteur des Corrections, adopté par la critique parisienne comme par son homologue new-yorkaise et, gageons-le, dans tous les pays dans lesquels il sera traduit. Les louanges adressées à l’auteur depuis la parution il y a quelques jours de son chef-d’oeuvre étonnent par l’unanimité qu’elles dégagent : ne dirait-on pas que toutes les critiques sont écrites par le même journaliste ? Pour notre part, nous concluions dans notre note (cf. supplément littéraire Chronic’art #6, en kiosque) : « La montagne accouche d’une souris. » Concis par obligation -la maquette n’étant pas extensible-, nous avons sans doute pêché par manque de nuance mais cela ne nous empêchera pas d’opposer un démenti à tous ceux qui bêlent avec le troupeau : ces fidèles apôtres ont-ils réellement lu Les Corrections ?
L’histoire, on ne peut plus simple, est celle d’une famille américaine dispersée sur le vaste territoire national et dont la mère cherche à tout prix à organiser un dernier Noël en regroupant ses trois enfants. Evidemment, tous les enfants ne crèvent pas d’envie de ce Noël en famille. Au-delà, et puisque le roman fait 700 pages, c’est l’univers de chacun d’eux que Franzen passe à la loupe : des rêves littéraires avortés de l’un -mise en abyme, quand tu nous tiens- à son départ pour un pays de l’Est, de l’homosexualité refoulée de l’une à sa réussite professionnelle, etc., tout y passe et un roman total se dessine sur la famille américaine. Avec, en guise de pseudo philosophie, ces fameuses corrections, symbole selon Franzen de la capacité de chacun à revenir sur ses pas et effacer ses erreurs, de la faculté des enfants à déjouer les problèmes lancés par leurs géniteurs et même -attention : ultime mise en abyme-, de toutes les pages qu’il a griffonnées avant de nous livrer son roman. Mais passons sur le simplisme creux de cette métaphore.
Le plus énervant dans ce roman n’est pas dans les histoires qu’il raconte, mais bien -c’est toujours là que se joue la différence entre la réussite et l’échec- dans sa manière de les raconter. Franzen décrit avec une précision d’entomologiste la vie de ses personnages et en tire des détails soi-disant révélateurs. Son problème c’est que la plupart du temps on n’apprend pas grand-chose. Pour comprendre, imaginez un roman policier dont l’énigme serait tellement évidente que l’auteur serait le seul à ne pas s’en rendre compte et qui, pendant 700 pages, tenterait vainement d’entretenir le suspense -c’est exactement ce que fait Franzen à chaque paragraphe hypertrophié quand il s’arrête sur un de ces détails. Le sentiment que l’auteur souligne, surligne, met en gras des évidences ne nous quitte pas pendant toute la lecture. Alors que lui reproche-t-on au juste ? Son manque d’efficacité dans le récit, son absence totale de subtilité -pas de cette subtilité psychologisante qu’il sert au kilomètre, nous parlons de subtilité dans les procédés d’écriture-, une vision du roman déjà dépassée -la déconstruction affichée du roman n’est qu’apparente, tout y est en réalité très linéaire, pour ne pas dire plan-plan- et, comme nous le disions déjà dans Chro #6, « une réalité bien terne comme unique horizon ».
Pour autant, son succès n’est pas immérité -son roman est loin d’être mauvais ; mais que nos chers critiques cessent de parler à son propos de révélation majeure, de premier livre total du XXIe siècle et autres fadaises de plumitifs en mal de grandiloquence. Certains autres romans de cette rentrée, pas forcément aussi annoncés par leurs éditeurs, ont une tout autre envergure. Qu’ils laissent Franzen à ses têtes de gondole, qu’ils rangent leurs superlatifs dans leurs tiroirs et qu’ils s’occupent de lire.