Un petit quelque chose de simple et de rare fait de La Maison du sommeil l’un des très beaux romans de la rentrée. Ce quelque chose, c’est l’étonnante capacité d’introspection des personnages de Jonathan Coe, comme si tous, bon ou mauvais, avaient une véritable humanité. La Maison du sommeil s’articule autour de caractères entiers, forcément troublants, qui viennent l’un à l’autre par le truchement de leurs tourments, de leurs doutes, et du hasard. Dispersés dans une Angleterre étriquée et touchante, ils se croisent, s’aperçoivent, se catapultent parfois, se souviennent toujours. L’histoire, épurée, presque volatile, additionne les points de vue de cinq personnages jadis réunis dans la même résidence universitaire, séparés par tout ce que la vie contient d’irrévocable, et qu’un Coe un peu alchimiste veut réunir de nouveau.
Il n’y a chez Coe ni raccourci, ni caricature : ce n’est pas, semble-t-il, l’objet de son écriture. Et pourtant ce roman ressemblerait presque à un sitcom. Robert est amoureux de Sarah, mais Sarah aime Veronica. Sarah aime aussi Robert (mais autrement), Robert est incompris, et Terry se fout de lui. Mais le romancier joue avec les apparences et transforme une histoire d’étudiants convenue en course aux extrêmes. Au fil du livre, les questions s’enchaînent. Pourquoi Robert se rase-t-il les jambes ? A quel jeu bizarre joue Gregory en appuyant sur les yeux de Sarah ? Quelles seront les conséquences irréparables de la narcolepsie de Sarah ? Et qui sont-ils vraiment, tous ces gens névrosés ? Les réponses sont dans le livre, brûlantes et inattendues.
Au centre de cette histoire, il y a le sommeil. Le sommeil comme grand égalisateur des illusions, révélateur de l’ambivalence de l’échec et du succès. Le sommeil comme justicier et grand pourfendeur de mesquineries. On n’en dira pas plus. A l’extrême fin du livre, dans un étrange appendice où se jouxtent un poème, une lettre et la transcription d’un rêve, on retrouve l’un des personnages allongé sur un lit d’hôpital. Sa mère cherche un responsable : « un individu, le gouvernement, le système, que sais-je ? (…) Les médecins me disent que je me fais des idées, mais une ou deux fois j’ai cru apercevoir un tout petit sourire sur son visage, et alors je me suis demandé s’il était en train de faire de beaux rêves ». Le sommeil, nous dit Coe, ne ment jamais.
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